En levant les yeux vers le huitième étage d'une tour du XIIIe arrondissement de Paris, Agnès rejoint en pensée Boris et Tsila, ses grands-parents, et tous ceux qui vivaient autrefois dans le même immeuble. Rue du Château des Rentiers, ces Juifs originaires d'Europe centrale avaient inventé jadis une vie en communauté, un phalanstère.
Le temps a passé, mais qu'importe puisque grâce à l'imagination, on peut avoir à la fois 17, 22, 53 et 90 ans : le passé et le présent se superposent, les années se télescopent, et l'utopie vécue par Boris et Tsila devient à son tour le projet d'Agnès. Vieillir?? Oui, mais en compagnie de ceux qu'on aime.
Telle est la leçon de ce roman plein d'humour et de devinettes - à quoi ressemble le jardin d'Éden ? quelle est la recette exacte du gâteau aux noix ? qu'est-ce qu'une histoire racontée à des sourds par des muets ? -, qui nous entraîne dans un voyage vertigineux à travers les générations.
A quoi ressemble une vie ?
Pour la narratrice, à une déclaration d'amour entre deux enfants de quatre ans, pendant une classe de musique.
Ou à leur rencontre en plein hiver, quarante ans plus tard, dans une rue de Paris.
On pourrait aussi évoquer un rock'n'roll acrobatique, la mort d'une mère, une exposition d'art contemporain, un mariage pour rire, une journée d'été à la campagne ou la vie secrète d'un gigolo.
Ces scènes - et bien d'autres encore - sont les images où viennent s'inscrire les moments d'une existence qui, sans eux, serait irrévocablement vouée à l'oubli.
Car tout ce qui n'est pas écrit disparaît.
Conjurer l'oubli : tel nous apparaît l'un des sens de ce roman animé d'une extraordinaire vitalité, alternant chutes et rebonds, effondrements et triomphes, mélancolie et exaltation.
Oeuvre majeure d'une romancière passionnée par l'invention des formes, L'Eternel Fiancé confirme son exceptionnel talent : celui d'une auteure qui a juré de nous émerveiller - et de nous inquiéter - en proposant à notre regard un monde en perpétuel désaccord.
Photo de famille. Avec ce deuxième titre de la collection " Figures libres ", Agnès Desarthe joue complètement le jeu et nous livre plus qu'un autoportrait : une radiographie de son imaginaire personnel - et familial. Elle écrit : " Peut-être ferais-je mieux de commencer par expliquer que mon grand-père n'est pas mon grand-père. Bouz, Boris, Baruch n'est pas le père de ma mère. Le père de ma mère a été tué à Auschwitz en 1942. B.B.B. - appelons-le ainsi, pour le faire court - est l'homme avec qui ma grand-mère, la vraie, a refait sa vie...si l'on peut dire. "Né à Cernowitz , à moins qu'il ne s'agisse de Kichinev, dans ces lointaines provinces de l'empire des Habsbourg qui furent successivement roumaines, soviétiques ou ukrainiennes, B.B.B. traverse le siècle sans déranger personne. En occupant la place laissée vacante par le grand-père disparu, il joue désormais un rôle à la fois discret et nécessaire. Ce vieux monsieur excentrique est la pièce manquante du puzzle familial. Agnès lui doit d'avoir compris une bonne partie de son identité, longtemps occultée, comme chez certains personnages d'I.B. Singer." Je voulais écrire sur un homme exemplaire ", dit encore l'auteur. Exemplaire, mais de quoi, de qui ? Et pourquoi la figure d'un homme héroïque, le Dr Janus Korczak, qui sauva les orphelins du ghetto de Varsovie, surgit-elle soudain en surimpression ? Avec tendresse, avec humour, avec obstination, Agnès Desarthe déchiffre le palimpseste de la mémoire dans ce qui restera, à l'évidence, comme un de ses plus beaux textes.
Hector, Sylvie et leur fils Lester s'envolent vers les États-Unis. Là-bas, une nouvelle vie les attend. Hector a été nommé professeur dans une université de Caroline du nord. Très vite, son charisme fait des ravages parmi les femmes qui l'entourent.
Fragile, rêveuse, Sylvie n'en observe pas moins avec lucidité les effets produits par le donjuanisme de son mari, tandis que Lester devient le guide d'un groupe d'adolescents qui, comme lui, cherchent à donner une direction à leurs élans.
Pendant ce temps, des attentats meurtriers ont lieu à Paris, et l'Amérique, sans le savoir, s'apprête à élire Donald Trump.
Chez Agnès Desarthe, chaque personnage semble suivre un double cheminement. Car si les corps obéissent à des pulsions irrésistibles, il en va tout autrement des âmes tourmentées par le désir, la honte et les exigences d'une loyauté sans faille.
Mais ce qui frappe le plus dans cet admirable roman où la France est vue à distance, comme à travers un télescope, c'est combien chacun demeure étranger à son propre destin, jusqu'à ce que la vie se charge de lui en révéler le sens.
C'est une histoire qui commence en 1889 à Soro, au Danemark. Et qui se termine en 1931, au même endroit : la « maison » Matthisen, demeure ancestrale d'une vielle famille de la noblesse.
Trois femmes occupent les rôles principaux : Mama Trude, la grand-mère ; Kristina, la mère, qui épouse un officier français, René de Maisonneuve ; leur fille, Rose. A 20 ans, Rose quitte le manoir familial et part vivre à Paris. C'est elle l'héroïne de ce roman mené tambour battant, et qui la conduit d'une fumerie clandestine d'opium à un appartement bourgeois de la rue Delambre où elle vit en couple avec une femme, Louise, avant de recueillir une enfant trouvée, Ida, qui deviendra sa fille.
C'est le début du siècle - l'affaire Dreyfus, la guerre de 14, les années folles, les voitures Panhard-Levassor, le féminisme - qui défile en accéléré, mais sans jamais tomber dans la reconstitution historique. Car le vrai sujet de ce formidable roman, c'est le destin de Rose et la manière dont elle parvient, petit à petit, à en déchiffrer le sens. Porté par un style d'une grande vivacité, une écriture sensuelle et colorée, ce livre est celui d'un écrivain au sommet de son art. Magicienne des mots, Agnès Desarthe nous émeut et nous fait rêver comme jamais.
Depuis Mangez-moi, Agnès Desarthe n'avait pas produit de fiction d'une telle ampleur narrative.
Dans le restaurant de Myriam, il n'y aura pas de musique - elle est trop émotive -, tout sera fait maison, avec et par amour, certaines étudiantes en philosophie auront droit à une réduction, les enfants seront traités aussi bien que les adultes, on ne gâchera aucune nourriture... mais il faudra aussi éviter la faillite, vivre clandestinement sur son lieu de travail et échapper aux contrôles sanitaires et fiscaux. Tout cela sans avoir fait d'école hôtelière, pas plus que de commerce. Heureusement, Ben est là, serveur efficace et idéaliste prêt à tout pour sauver Myriam de ses propres démons et le monde dans la foulée.
Au cours d'une partie de chasse, un homme tombe dans une galerie souterraine. Tristan est désigné pour rester sur les lieux tandis que les autres iront chercher du renfort. Mais les secours n'arrivent pas et la tempête se lève. Une longue attente commence. Tout en essayant de soutenir moralement celui qui s'est blessé en tombant (et dont il se sent si loin), Tristan se remémore la suite des événements. Il revit sa rencontre avec sa femme Emma, l'évolution de leur relation. C'est elle qui l'a convaincu de partir chasser, pour que les autres l'acceptent dans le cercle des hommes. Il repense aussi à sa mère malade dont l'image le hante encore aujourd'hui, au petit garçon docile qu'il était alors à son chevet. Et lui, qui a toujours plié sous la volonté des femmes, interroge enfin la place de son propre désir.
Tristan s'abrite de la tempête comme on se terre au fond d'un terrier, dialoguant en cachette avec un animal rescapé de la partie de chasse, quand les voix des humains ne lui parviennent plus. La nature se déchaîne alors dans une colère salutaire. Et peut-être le déluge, qui emporte tout sur son passage, obéit-il au rêve de Tristan de faire table rase.
Avec Une partie de chasse, Agnès Desarthe signe un roman violent et énigmatique. Il nous parle d'un monde que les dieux auraient abandonné, laissant la place aux pulsions les plus secrètes qui dorment dans le coeur des hommes.
Jérôme est un homme calme. C'est du moins ce qu'il croit. Lorsque l'amoureux de sa fille Marina meurt dans un accident, il tombe dans une profonde agitation.
Que faire du chagrin de Marina ?
D'autres secousses, de plus en plus fortes, viennent ébranler la vie de Jérôme. Il doit alors se rendre à l'évidence : de lui-même et de ses origines, il ne sait rien, sinon qu'il fut recueilli jadis, errant dans les bois, par un couple qui l'adopta. D'où vient Jérôme, l'enfant sauvage ?
Pour le savoir, il lui faudra plonger à nouveau dans la nuit brune, guidé par un étrange mentor.
Dans ce livre, un homme doit se confronter à des forces qui le dépassent, et qui portent des noms si anciens qu'ils ont presque perdu leur sens, comme Éros ou Thanatos. Pour lui, l'Histoire est vraiment un cauchemar dont il essaie de s'éveiller. Usant de toutes les ressources du romanesque, sans se priver de celles du conte, Agnès Desarthe ne cesse de nous surprendre et de nous enchanter.
« Il y a des nuits où la magie et l'horreur quittent les livres de contes pour aller tourbillonner dans les rues et sur les chemins », écrit Agnès Desarthe.
C'est par une nuit d'hiver que les vies de Sonia, Violette, Harriet, Gabriel, Emile et Dan se trouvent à jamais réunies, comme si leur tracé dessinait une sorte de figure.
Tourbillon aléatoire, semblable à la chute des flocons de neige, au mouvement des sentiments, aux trajectoires des couples qui dansent à la fête de l'Institut.
Histoires de magie, parce que, dans cette banlieue qui rappelle les shtetl chers à Isaac Bashevis Singer, le naturel et le surnaturel, le quotidien et le merveilleux, le visible et l'invisible sont des mondes qui s'emboîtent à la perfection.
Une des grandes originalités d'Agnès Desarthe consiste à bousculer nos habitudes de lecture en choisissant d'évoquer le « vrai » sujet qui se cache derrière le sujet - qui semble évident - de ses histoires. Ses nouvelles fonctionnent sur le même principe. Pour exemple, la nouvelle qui donne son titre au recueil: que comprendre quand une femme, spécialiste de l'histoire de la Shoah, en arrive à refuser d'apprendre « ce qui est arrivé aux Kempinski » ?
Derrière une apparente légèreté, on retrouve des thèmes graves : une menace permanente, la tragédie de la Shoah. Le réconfort est du côté de la nature, du rituel, des objets qui enchantent le quotidien, des oiseaux. L'irruption d'événements étranges vient désorganiser l'existence de chacun et lui donner un nouveau sens.
Chaque nouvelle de ce recueil nous surprend par sa tournure inattendue et l'audace de ses résolutions.
À quatre-vingts ans, Max Opass entreprend de faire faire le portrait de sa femme décédée un an plus tôt. Parce qu'il veut retrouver « la petite lumière dans ses yeux », il se met en quête d'un artiste capable de répondre à sa demande.
Un peintre conceptuel, une artiste du dimanche, deux étudiants des Beaux-Arts, une joueuse de bridge qui peint à ses heures perdues, toutes ces rencontres vont le mettre sur une voie qu'il ne soupçonnait pas en se lançant dans l'aventure.
Au fil des jours, Max repense toute l'histoire de sa vie, découvre qu'il n'y a pas compris grand-chose. Pas plus qu'il n'a compris ceux qui l'aimaient.
" J'avoue entretenir des rapports conflictuels avec la réalité.
La plupart du temps, ce qui m'est servi chaque matin au réveil - je veux parler du monde, du ciel, des bruits de la ville ne me convainc pas. Je passe une bonne partie de mes journées à scruter je ne sais quel point de la perspective terrestre, à la recherche d'un indice, d'une nouveauté, d'une preuve qu'il y a autre chose, que l'on s'est trompé sur toute la ligne. " Sonia emménage, avec son mari, dans un appartement sur un grand boulevard parisien.
Un premier enfant, un second, la vie est belle. Ou pourrait l'être. Car un vieil homme meurt de faim sur le même palier. Comment est-ce possible ? Et que faire ? Armée de sa candeur et de sa générosité, Sonia fait face. Mais les bonnes intentions ont parfois des effets pervers...
Romancière de l'ambiguïté, Agnès Desarthe interroge les incertitudes et les paradoxes dont est tissée notre vie, et continue d'explorer d'étranges territoires, à la frontière du réel.
Elle a perdu son mari dans des conditions mystérieuses.
Elle vit dans une maison vide, seule (mais est-ce bien sûr ?). Elle se passionne pour le cas d'un jeune garçon surdoué. Elle entretient de curieuses relations avec son banquier. Elle devrait se méfier de son père. Elle s'appelle Frédelle. Dans ce roman, proche par son inspiration d'Un secret sans importance, Agnès Desarthe renoue avec ses interrogations fondamentales. On pense à Cynthia Ozick, à son goût pour l'intelligence et les métaphores, et à sa capacité d'indignation.
"Ma petite soeur Cyrille fait le plus beau métier du monde, dit Macha. Elle est sage-femme." Comment vivre, pense Cyrille, quand votre soeur est une cantatrice - belle, intelligente, célèbre - qui vous aime au point de faire votre éloge en public ?
Cyrille souffre. Elle se trouve plutôt moche, assez peu désirable, pas vraiment intéressante. Sa collègue Viviane est horrifiée : Cyrille ne sort jamais avec des garçons, et elle ne semble pas pressée de se marier.
Pendant ce temps, à la clinique des Rosiers, des femmes crient, pleurent, appellent au secours, accouchent. Des enfants naissent, la vie suit son cours. Autrement dit, chacun s'achemine vers sa mort.
Car c'est cela, le scandale. Quand Cyrille aura réglé ses comptes - avec ses parents, avec les hommes, les femmes et les enfants -, il lui faudra assumer l'inacceptable vieillissement, l'odieux âge adulte, l'impossible mort. Ce sera sa seconde naissance.
Il y a quatre ans, dans le cadre d'une émission pour France-Culture, Geneviève Brisac invita Agnès Desarthe pour parler de Virginia Woolf. Très vite, leur travail déboucha sur une série d'interrogations. Car cet écrivain
encombré de qualificatifs plutôt malveillants puritaine, dépressive, bourgeoise, narcissique, etc. leur apparaissait, à elles, sous un jour radicalement différent : drôle, perspicace, imprévisible, sensuelle, travailleuse. Il fallait rouvrir le « dossier Woolf ». VW est le fruit de cette enquête.
D'abord, faire tomber les barrières qui interdisent l'accès aux textes de Woolf, considérés parfois comme « difficiles », et tracer un chemin de lecture à travers son oeuvre. Puis, dégager quelques grands thèmes écriture et peinture ; le problème du temps ; style et métaphore ; quelle place pour le lecteur ? Woolf et Joyce : de la subversion en littérature ; la guerre ; la politique et la question du suicide, et en approfondir l'analyse.
Résultat : un livre qui pulvérise les idées reçues. Et nous fait découvrir une Virginia Woolf incroyablement proche de nous par sa liberté de pensée, sa passion pour l'expérimentation et ses positions sur la place des femmes dans la littérature, tout en mettant l'accent sur le caractère résolument contemporain de son oeuvre.