Il n'est guère besoin de rappeler l'importance de C.G. Jung : le public français sait désormais que l'oeuvre du chercheur zurichois déborde largement le domaine de la seule psychologie et représente un aspect essentiel de la pensée occidentale au XXe siècle. La vie tout entière de Jung a été une longue quête de la vérité intérieure ou, pour reprendre ses propres termes, l'histoire d'une réalisation du Soi par l'inconscient. Le savant chez lui ne s'est jamais dissocié de l'homme. Sur cette longue route, le commentaire sur Le Mystère de la Fleur d'or est plus qu'un jalon parmi d'autres : il constitue bel et bien le tournant de la carrière de Jung, le fruit de la rencontre décisive qui allait lui permettre d'assigner à sa recherche sa place dans l'histoire de l'esprit humain et le mettre en possession de sa forme d'expression définitive. Le Mystère de la Fleur d'or est un traité alchimique chinois taoïste, que le missionnaire protestant Richard Wilhelm a fait connaître à Jung en 1928. Celui-ci, dans son commentaire publié en Allemagne l'année suivante, formule l'aspiration moderne à la conscience totale, dans un langage à la fois traditionnel et accessible à l'Européen du XXe siècle. Il peut ainsi être regardé comme le restaurateur de la Voie occidentale. Nous mettons aujourd'hui ce commentaire à la disposition du public français, en l'accompagnant des dessins d'un Chinois anonyme du XVIIIe siècle représentant les quatre stades de la méditation, ainsi que des exemples de mandalas européens sélectionnés par Jung. Nous présentons ensuite une traduction du discours que Jung fit à la mémoire de Richard Wilhelm l'année où ce dernier mourut (1930), et enfin la remarquable Préface au Yi-King (1950). Outre cet ouvrage, les Éditions Albin Michel s'honorent de publier une série d'oeuvres majeures, et inédites jusqu'à présent en français, de C.G. Jung.
Dès les premières pages de Psychologie et alchimie, Jung écrivait très clairement, sans avoir peur des risques qu'il prenait de la sorte, que " l'âme possède naturellement une fonction religieuse (...) et que la tâche principale de toute éducation de l'adulte est de faire passer l'archétype de l'image divine, ou ses émanations et ses effets, dans la conscience ". Sur le statut proprement métaphysique d'une telle assertion, Jung n'a jamais voulu se prononcer, considérant qu'il sortirait alors de ses limites et de son domaine de légitimité. Mais il a toujours maintenu contre vents et marées qu'il y avait un monde propre de l'âme, et que son oeuvre consistait à démêler la façon dont il se manifestait et appelait l'homme à la découverte de sa réalité fondatrice de caractère numineux.
Se référant explicitement à Maître Eckhart quand il disait : " Ce n'est pas au-dehors mais à l'intérieur : tout à l'intérieur ", Jung proposait ainsi d' " observer patiemment ce qui se passe en silence dans l'âme ", dans la mesure où tout homme a par nature " dans son âme propre quelque chose qui peut croître ". Il a donc semblé urgent de livrer au public français les grands textes de Jung qui étaient encore inédits, et qui traitent directement de cette structure religieuse qui nous forme.
La Vie symbolique en est le premier volume rassemblé. Deux autres livres suivront, l'un sur L'Ame et le Soi, l'autre comprenant les Essais sur la symbolique de l'Esprit. Dans cette perspective, il a paru judicieux de commencer par les textes où Jung se confronte au christianisme - soi en s'inscrivant dans les grands courants de la gnose avec les Sept Sermons aux Morts qu'il place sous le patronage de l'Alexandrin Basilide, soit dans des échanges très serrés et courtois avec des religieux et des théologiens, comme dans le texte proprement dit de La Vie symbolique ou les lettres qu'il envoie à un pasteur protestant ou à un carme catholique : on pourra y voir au travail toute la puissance de sa réflexion, mais aussi le poids de l'angoisse qu'il a toujours ressentie - et d'autant plus comme thérapeute - devant l'insondable mystère de l'existence du mal.
Toute sa vie, Carl Gustav Jung a travaillé sur les rapports subtils qui lient la psychologie et le sentiment religieux. Loin de voir dans la religion un phénomène d'illusion ou une forme sublimée de la névrose obsessionnelle, il a toujours considéré que la fonction religieuse était constitutive de l'inconscient. Cherchant à cerner avec le plus de précision possible cette dimension incontournable de l'âme, il en a décrit les représentations symboliques encore vivantes dans de nombreuses traditions spirituelles. Mais il a toujours refusé de se prononcer sur le divin en soi, ou sur la vérité de quelque religion que ce soit..
C'est dans sa correspondance que Jung s'est expliqué le plus clairement sur sa position à la fois rigoureuse et périlleuse concernant la religion. Ses lettres sur l'image de Dieu, sur le christianisme, le judaïsme ou les spiritualités orientales, rassemblées et présentées ici par Michel Cazenave, révèlent l'authenticité d'un scientifique ouvert à l'expérience intérieure.