Il a signé des livres magistraux tels que L'Illusion politique, Le Système technicien, L'Empire du non-sens ou Le Bluff technologique.
On ne sait pas toujours bien qui, d'Ivan Illich à Jean Baudrillard en passant par Castoriadis, Simondon, Edgar Morin et tant d'autres, a lu ou n'a pas lu Jacques Ellul (1912-1994). Mais il est bien certain que ce professeur de la faculté de Bordeaux, qui ne songea jamais à quitter la ville de Pessac où il s'était installé en 1946, n'en a pas moins dialogué avec tout ce qui compta dans le siècle. Ellul a inspiré ou perturbé toutes les réflexions un peu sérieuses sur la technique.
Se plonger dans l'oeuvre et la vie de Jacques Ellul, c'est emprunter mille chemins : aborder le résistant et le Juste, le compagnon de route de la décroissance, le porteur d'une ambition critique radicale qui impressionnèrent Bernanos et Debord, mais aussi le protestant converti et s'inventant un christianisme très particulier, le « rhinocéros intellectuel » qui fonce sur tout ce qui bouge, le pessimiste résolu dans une société qui veut le Bien à tout prix. Mais aussi le duo intellectuel et virtuose formé avec Bernard Charbonneau et celui, théologien, formé avec Jean Bosc.
Édouard Schalchli campe (et discute) le portrait - surtout pas l'hagiographie - de l'un des philosophes les plus impressionnants du xxe siècle. Et surtout s'interroge : comment être ellulien après Jacques Ellul ?
On connaît Giono pour son évocation romanesque d'un monde paysan plus ou moins mythique, si ce n'est idyllique. Mais il fut aussi un penseur engagé : contre la guerre et l'industrialisation de la guerre, contre l'embrigadement des masses dans une société de production forcenée et de consommation morbide. À la veille du deuxième conflit mondial, il rêva d'entraîner le monde paysan dans ce qu'il pensait être « la plus importante révolution de tous les temps », qui permettrait à l'homme, en retrouvant, au contact de la terre, le sens de sa vraie mesure, de « vivre dans l'abondance et dans la joie ». Bernard Charbonneau, précurseur direct de la décroissance, avait salué en lui, dès 1937, « un indépendant qui défendait une conception révolutionnaire nouvelle ». Il parlait là de la communauté du Contadour, où Giono et ses amis promouvaient, dans une atmosphère joyeusement libertaire, un « retour à la terre » non pas nostalgique, mais « larzacien » avant la lettre.
La guerre et l'occupation ont brisé ce rêve, et Vichy s'en est emparé à des fins de propagande national-conservatrice. D'où le malentendu d'un Giono réactionnaire et collaborateur, entretenu à plaisir par des stalinistes qui ne lui pardonnèrent pas d'avoir, dès la première heure, assimilé Staline à Hitler...
Giono l'« indépendant » eut pourtant le mérite de prendre très tôt la mesure du malheur qui s'abattait sur une humanité arrachée à son rapport ancestral à la terre. Il combattit sans cesse l'idéologie d'un monde où le travail est la négation d'une « joie de vivre » ; il préféra la pauvreté de l'homme libre aux illusions d'un progrès destructeur de tous les équilibres.
S'il est vrai, comme le disait Giono, « qu'aller de l'avant, c'est revenir en arrière » pour retrouver « une réalité essentielle » qui puisse servir «de terme de comparaison avec la réalité du monde », jusqu'où nous faudra-t-il remonter aujourd'hui pour réussir à faire le pas en avant qui nous sortirait enfin de l'impasse ? Telle est la démarche que propose ce recueil de textes qui jalonnent nos quinze dernières années en s'efforçant de confronter chaque « à-présent » à un moment passé qui puisse faire appel en lui au meilleur de nous-mêmes. Médecine, politique, éducation, tout étant désormais en crise, il faut pour toutes choses revenir à ce qui, depuis les Grecs et la nuit des temps, demeure l'essentiel.
C'est là aller à contre-urgence, afin d'épouser le mouvement même des choses, celui qui, dans l'instant même « où tout s'est arrêté, par vagues successives à partir de Wuhan, épicentre magique d'un séisme psychique dont on ne calculera jamais la portée effective », a réellement commencé « ce mouvement très lent, presque imperceptible à grande échelle, mais d'une vitesse prodigieuse et vertigineuse et qui grandit sans cesse à mesure qu'on se rapproche des points les plus excentrés de la roue ».