De 1954 à 1962, plus d'un million et demi de jeunes Français sont partis faire leur service militaire en Algérie. Mais ils ont été plongés dans une guerre qui ne disait pas son nom. Depuis lors, les anciens d'Algérie sont réputés n'avoir pas parlé de leur expérience au sein de leur famille. Le silence continuerait à hanter ces hommes et leurs proches. En historienne, Raphaëlle Branche a voulu mettre cette vision à l'épreuve des décennies écoulées depuis le conflit.
Fondé sur une vaste collecte de témoignages et sur des sources inédites, ce livre remonte d'abord à la guerre elle-même : ces jeunes ont-ils pu dire à leurs familles ce qu'ils vivaient en Algérie ? Ce qui s'est noué alors, montre Raphaëlle Branche, conditionne largement ce qui sera transmis plus tard. Et son enquête pointe l'importance des bouleversements qu'a connus la société française sur ce qui pouvait être dit, entendu et demandé à propos de la guerre d'Algérie.
Grâce à cette enquête, c'est plus largement la place de cette guerre dans la société française qui se trouve éclairée : si des silences sont avérés, leurs causes sont moins personnelles que familiales, sociales et, ultimement, liées aux contextes historiques des dernières décennies. Avec le temps, elles se sont modifiées et de nouveaux récits sont devenus possibles.
Ils étaient militaires, mais aussi civils. Des hommes, mais aussi des femmes. En Algérie, contre toute attente, le maquis fit des prisonniers pour internationaliser le conflit grâce au CICR. Comme la France n'y voyait pas une guerre, elle nia l'existence même de ces prisonniers, les raya de la mémoire collective. Ce livre, où l'on croisera notamment frère Luc, du monastère de Tibherine, leur redonne vie.
La guerre s'est achevée il y a soixante ans en Algérie. Elle a marqué durablement les sociétés française et algérienne et touché directement des millions de personnes. Comment ces Français et ces Algériens ordinaires l'ont-ils vécue ? Quinze femmes et hommes ont accepté de confier leurs souvenirs de jeunesse. Leurs témoignages sont essentiels pour écrire une histoire qui ne soit pas seulement celle des décisions et des grands événements politiques et militaires. Ils éclairent ce que furent des vies simples prises dans la tourmente de la guerre.
Ils étaient appelé du contingent, militaires de carrière, harki ou militants indépendantistes (du FLN et du MNA) en métropole et en Algérie, mais aussi membre de l'OAS, simples civils algériens ou français. Conscients de l'urgence de témoigner, ils racontent la guerre vue d'un appartement d'Alger, d'une usine parisienne, du maquis, d'une caserne. Quelles peurs les habitaient ? Quels dangers ont-ils affrontés ? Quelles étaient aussi les raisons de leur engagement ? Quels étaient leurs espoirs ? Ils répondent à ces questions avec le souci constant de dire au plus vrai, de raconter au plus juste.
Les témoignages ne se situent pas d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée. Ils ne sont pas au service d'un groupe de mémoire particulier. Au contraire. Ils permettent d'explorer les multiples facettes de ce conflit complexe où guerre de libération et luttes fratricides se sont mêlées, où destructions et ravages se sont accompagnés d'aspirations au renouveau.
Très tôt, au cours de la guerre d'Algérie, des révélations firent connaître à l'opinion publique métropolitaine certains détails de l'usage de la torture par l'armée française. Les 'opérations de maintien de l'ordre' dépendaient des autorités civiles mais leur réalisation fut laissée de plus en plus largement à l'appréciation de l'armée au fur et à mesure que l'insurrection nationaliste gagnait du terrain.
Des débats passionnés mirent aux prises intellectuels et journalistes, hommes d'Église et hommes d'armée, avocats et écrivains. D'anciens soldats témoignèrent ; des victimes aussi : personne ne pouvait ignorer qu'en Algérie des militaires français pratiquaient la torture.
Il fallait aller au plus près du terrain pour comprendre pourquoi, en définitive, tant de militaires français purent pendant plus de sept ans commettre des exécutions sommaires et des actes de torture et le faire avec l'assurance qu'obéissant à des ordres ils étaient ainsi au service de leur pays.
Raphaëlle Branche éclaire comme jamais auparavant les mécanismes de la torture : si la référence à la période de l'occupation allemande était alors omniprésente, ils trouvent leur origine dans le racisme colonial et les méthodes héritées de la guerre d'Indochine.
Aujourd'hui peu connue du grand public, l'embuscade de Palestro a pourtant bouleversé l'opinion publique, deux ans après le début des " événements " en Algérie. Aux frontières de la micro-histoire, de l'histoire de la mémoire et de l'histoire coloniale, ce portrait exemplaire de Raphaëlle Branche retrace les faits en s'appuyant sur les mémoires françaises et algériennes.
Palestro, le 18 mai 1956 : vingt et un militaires français tombent dans une embuscade. Un seul d'entre eux survit, les corps des autres sont retrouvés mutilés. Quelques mois après que le contingent a été rappelé pour lutter contre l'insurrection qui se propageait en Algérie, la nouvelle fera l'effet d'une bombe dans l'opinion française. " Palestro " deviendra vite synonyme de la cruauté de cette guerre qui ne disait pas son nom. Pourquoi, alors qu'il y eut d'autres embuscades meurtrières, a-t-on plus particulièrement retenu celle-ci ?
Pour comprendre les raisons de cette persistance dans l'imaginaire national français, Raphaëlle Branche a mené une longue enquête historique, en particulier en Algérie. Car il fallait aussi comprendre ce qu'il en était là-bas : cette action des maquisards de l'Armée de libération nationale avait-elle également marqué les mémoires ? En s'attachant au récit détaillé du drame de Palestro, ce livre de " micro-histoire " permet ainsi d'aller voir plus loin et d'interroger un passé plus ancien, là où se sont noués les liens coloniaux. Sous les pas des combattants de 1956, en effet, d'autres Français et d'autres Algériens avaient laissé leurs traces. Ce livre est aussi leur histoire.
Dans sa postface inédite, où elle revient sur la réception de ce livre, l'auteure témoigne que l'enquête historique continue toujours.
La guerre d'Algérie : une histoire apaisée ?Guerre d'Algérie ici, guerre de libération nationale là-bas, quelle que soit la manière dont on le nomme, ce conflit a été, dès son origine, l'objet d'interprétations divergentes. Des hommes politiques construisaient la guerre par les mots quand d'autres la niaient. Les sociétés algérienne et française ont hérité de ces affrontements. Depuis 1962, les historiens ont dû travailler au milieu des affects, des tensions et des désirs contradictoires exprimés à l'égard de ce passé complexe et sensible.L'analyse des cinquante années écoulées depuis le déclenchement de l'insurrection fait également ressortir le poids du politique sur les conditions d'écriture de l'histoire, qu'il s'agisse de contrôler le récit sur le passé, de le surveiller, de l'interdire mais aussi de l'encourager ou de le faciliter. Ainsi, l'accès aux archives demeure, encore aujourd'hui, une question cruciale de part et d'autre de la Méditerranée. L'étude de l'historiographie française et étrangère révèle pourtant que la recherche avance. Mais un constat s'impose aussi : les voies pour une histoire sereine de la guerre ne se dégagent que lentement. Raphaëlle BrancheMaîtresse de conférences en histoire contemporaine à l'université de Panthéon-Sorbonne-Paris-I.