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Folio
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Un rêve que l'on aimerait voir s'incarner : que, sous ces textes variés de l'humaniste hors pair que fut Érasme, précepteur de l'Europe de son temps, et comme surgissant d'eux, le lecteur d'aujourd'hui entende la voix même de l'homme, né Geert, «le Désiré», fils de Marguerite et de Gérard, vers la fin d'octobre 1467. À la recherche de cette voix, dans ces chapitres placés sous le signe de la défense et de l'illustration des «bonnes lettres», on a voulu montrer au sein même des discours théoriques les couleurs de l'affectivité. On verra ici Érasme apprécier les vins de Bourgogne et s'interroger sur l'éducation politique des princes, réfléchir sur la prononciation du latin et dénoncer les préjugés moralisateurs de l'enseignement médiéval, dans un dialogue constant avec autrui. Ainsi se précisent les différentes facettes d'un homme qui se révèle à la fois critique et éditeur, prosateur et poète, satiriste et théologien, voyageur et bon compagnon - prince des humanistes.
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Si elle est généralement présentée comme la synthèse des idées pacifistes d'Érasme, la Complainte de la paix (publiée à Bâle en 1517) nous introduit au coeur de la diplomatie européenne au début du XVIe siècle. Contemporain de l'avènement de jeunes souverains (François Ier, Henry VIII, Charles de Bourgogne - futur Charles Quint), ce plaidoyer permet à Érasme - conseiller moral des princes chrétiens - de mettre en profit son génie pour agir sur l'esprit des princes et les faire collaborer d'une manière décisive « au bonheur du monde », mettant à nu - non sans courage - les mobiles cachés qui les poussent à faire la guerre:
Colère, passions absurdes, sottise et ambition, folie de la gloire, injures entre souverains, avidité insatiable voire même mauvaise foi des traités... C'est en moraliste qu'il se penche sur ce fléau, ne ménageant ni les princes ni les grands ni les prélats. Si l'on retrouve dans la Complainte l'ironie caractéristique de l'Éloge de la folie, c'est avec plus d'émotion et de colère, plus de pitié aussi à l'égard du peuple, victime ordinaire de l'égoïsme forcené des grands qu'il s'exprime ici.
Tableau sans indulgence, nourri des moeurs collectives et individuelles du temps, qui en appelle au seul remède spirituel : la charité chrétienne. La Raison, à défaut de la sensibilité et de l'amour de son prochain, s'oppose à la guerre, sous toutes ses formes. Dans le parti de dénoncer la folie des peuples, mais aussi dans la résolution de les désabuser, dans le démontage lucide des ressorts passionnels et des mobiles secrets qui commandent la pratique de la guerre, ne voiton pas se profiler tout un aspect de la philosophie du XVIII e siècle? Dans le monde qui est le nôtre, qui oserait prétendre à l'anachronisme de cette parole de la Paix: « La guerre est un fléau des États, le tombeau de la justice »?