Jacques Roubaud, écrivain, mathématicien, traducteur, champion des équivalences poétiques, et Jean-Pierre Gilson, maître du paysage en photographie, sont réunis pour un tour de l'Ecosse en noir et blanc. On n'apprend pas beaucoup sur l'histoire ou la géographie de l'Ecosse, en revanche on est plongés dans une activité sensorielle de perception du paysage. Il se trouve que l'Ecosse s'y prête particulièrement.
Les textes de Jacques Roubaud prennent place ponctuellement, avec une concision toute mathématique, page après page, dans une insularité qui invite au plaisir de la lecture à haute voix.
L'exercice d'écriture conjugue une lecture méticuleuse des photographies et les propres souvenirs de séjours en Ecosse, mêlant lecture et mémoire visuelles. La forme poétique de Roubaud, très construite, proche des haïkus, joue sur la récurrence, l'inscription du temps dans l'espace et s'emploie à la traduction d'un paysage en mouvement.
Ici les pierres, les nuages, les maisons, les torrents jusqu'aux herbes sont dénombrés, signe d'un désir d'inventaire et d'épuisement d'un lieu. Et pour rester dans le sillage d'un Perec, on peut parler d'une certaine forme de pérégrination.
Pas de surcharge métaphorique ou symbolique : cette poésie, comme cette photographie, se pratique pas à pas. Par la marche (on imagine ses pas métrés), le poète comme le photographe arpente le paysage. Géométrie de l'instant, écriture descriptive, jeux de miroirs, et de sens.
Les photographies de Jean-Pierre Gilson trouvent paradoxalement une dimension nouvelle dans un espace miniaturisé où tant de détails fourmillent qu'une lecture attentive obligera l'usage de la loupe pour y voir de plus près tel mouton esseulé, telle herbe folle. La qualité d'impression sur un papier très surfacé et dans une définition très fine permet justement de percevoir cette atmosphère si particulière que produit la lumière sur l'Ecosse.
Le canal Saint-Martin à Paris est un lieu magique, célébré dans la littérature, la chanson, le cinéma.
Le livre présenté ici est le résultat de la rencontre du regard d'une photographe amoureuse de " son " canal (elle habite sur ses bords) et de l'écriture d'un poète-mathématicien-arpenteur des rues de Paris.
Les photos de Marie Babey sont dans la tradition humaniste. Elles rappellent le regard de Willy Ronis, de Doisneau ou de Boubat. Le choix du noir et blanc argentique, privilégiant les contrejours, les reflets et le graphisme lié aux ombres franches peuvent donner l'impression d'un exercice purement nostalgique. En réalité c'est tout le contraire : c'est l'actualité de cette portion de ville, ce canal, artère majeure de Paris, qui est montrée de façon universelle et intemporelle.
Jacques Roubaud a pris connaissance des photos de Marie Babey. Il s'est promené, photos en main, le long du canal, et a écrit le texte de cet ouvrage.
Le texte de Jacques Roubaud a une construction précise, très " mathématique ". En même temps, il est empreint du " réalisme poétique " du lieu.
Il s'agit donc d'un texte inédit, écrit à notre demande. Jacques Roubaud dit lui-même avoir éprouvé beaucoup de plaisir à cet exercice de commande. Ce texte est dans la lignée de celui de La forme d'une ville change, hélas, plus vite que le coeur des humains (Gallimard, 1999), qu'il avait aussi écrit à partir de promenades à pied dans Paris.