Neuf groupes de neuf poèmes, plus un dernier, très bref, intitulé Rien, ainsi se compose Quelque chose noir de Jacques Roubaud. Un seul thème d'inspiration, et il est infiniment douloureux : c'est celui de la mort de la femme aimée. Beaucoup de ces poèmes prennent la forme d'une méditation. L'art de Jacques Roubaud, qui sait jouer de toutes les ressources de la technique poétique, se met ici au service de l'absence, du deuil, de la douleur.
Métro[...] En ces temps-làOn vous poinçonnait le ticket et pas qu'aux LilasIl y avait les voitures de première classeQui sentaient la première classeComme Mireille Balin dans Pépé le MokoAvant d'entrer dans les stations on lisaitSur le mur du tunnel«Du Bo du Bon Dubonnet»Et ça rappelait l'avant-guerreÀ ceux qui ne l'avaient pas vécue(Aux autres aussi d'ailleurs)Pierre DacVendait des enclumes «à la sauvette»Dans les couloirs de la station Campo-FormioAh jeunesse !Ah jeunesse !Ah !Mais en ces temps-làN'est-ce pasIl n'y avait pas de station dont le nom de baptême futBOBIGNY-PANTIN-RAYMOND QUENEAUCeciCompenseCelaJacques Roubaud.
Proposer une Anthologie personnelle à Jacques Roubaud, si attentif à la composition de chacun de ses livres de poésie, c'est engager le mathématicien-poète sur une voie aléatoire, celle qui retient de recueil en recueil les énoncés et les équations majeures.
De [Signe d'appartenance] qui ouvre le champ poétique de Jacques Roubaud aux improvisations suscitées par un poème japonais du XIVe siècle, d'une autobiographie rêvée dix-huit ans avant sa naissance à une exploration de la diction poétique, d'un deuil intense et noir à une méditation sur «le vide vivant de la vie», d'une déambulation méticuleuse dans les rues de Paris à une suite de sonnets tout bruissant d'Angleterre, avant de côtoyer l'infinitif de la mort, tel est ce parcours à la fois ponctuel quant aux rendez-vous que le poète s'est fixé et d'une prodigieuse diversité quant aux formes convoquées, utilisées et sans cesse réinventées.
Des moineaux écoliers et des autruches affolées. Un dinosaure qui danse avec les biches, la reine des brebis descendant la Seine en voilier. Mais aussi... un quatuor de girafes, un écureuil qui cherche ses noisettes et une famille Raton Laveur. Des visages et des paysages, l'orthographe qui n'en fait qu'à sa tête... Une dernière goutte de pluie, une moule rêvant de terres lointaines... Les animaux font la ronde avec les mots et la nature devient poème.
Dans l'entierbonheur du soleilun chat japonais dormaithaut sur une planchec'était où ?dis-moi t'en souviens-tu aussi ?
«Ce livre, comme son titre ne l'indique pas, est un commentaire des sens non mathématiques du signe d'appartenance ?, que les écoliers ne peuvent plus se permettre d'ignorer aujourd'hui. S'ils étaient japonais et initiés dès leur enfance au très ancien jeu de go il ne leur manquerait plus, avant d'ouvrir ce livre, qu'une certaine connaissance de l'histoire du sonnet, et non l'expérience de la vie qu'ils possèdent sans aucun doute déjà.» Jacques Roubaud (Bulletin Gallimard n° 224, août-sept. 1967).
Jacques Roubaud a beaucoup écrit pour les enfants. Pour lui : «la poésie est l'enfance dans la langue.» «J'aime bien raconter des histoires ou composer des poèmes sur et pour des animaux», dit-il. «C'est pourquoi je m'adresse particulièrement aux enfants, qui eux-mêmes s'intéressent aux histoires et aux animaux. Pour écrire des histoires ou des poèmes, il suffit de ne pas employer de mots trop difficiles (sauf les mots inventés, mais ceux-ci ne sont pas difficiles pour les enfants, ils en inventent tout le temps), ni de parler de choses trop horribles (il y en a assez comme ça dans le monde)».
Un soir de 1378, un bourgeois de Florence, rentrant chez lui pour dîner, fondit en larmes devant sa soupe. À sa femme et à sa fille qui le pressaient de questions, il répondit : «Le bon roi Arthur est mort, l'unique rempart de la chrétienté.»Les bouches des conteurs, qui seules avaient donné vie au roi de fiction, se fermèrent. Il ne resta plus dans les manuscrits de toutes les langues d'Europe que les branches de l'arbre de Brocéliande où était né le roman.Le conteur de Graal fiction a cherché les chevaliers et les dames, Tristan-Yseut, Lancelot-Guenièvre, Perceval, Gauvain, les fées et les enchanteurs, Viviane, Morgane, Merlin, à l'endroit même où ils se trouvent, dans l'enchevêtrement des récits médiévaux. S'il redit, s'il réécrit ce qui a déjà été dit, c'est pour élucider ce qui se cache en le dissimulant davantage, ou dévoiler le but de ces quêtes, le Graal, sans toucher à l'énigme. La sienne étant de restituer à la prose ses enfances.
Octogone le nouveau recueil de poèmes de Jacques Roubaud est découpé en 16 parties et presque autant de formes poétiques différentes. On y découvre les dernières inventions formelles de l'auteur : les strophes en « trident », le battement de Monge et les Joséphines, deux dérivés de la Sextine qu'il affectionne tant. De belles et typographiques « Partitions rythmiques », travaillent la répétition. Des hommages rendus aux poètes - le spectre est très large, des Troubadours à Robert Marteau ou Jude Stéphan. Paris fait enfin l'objet d'une suite de poèmes, prolongement de son arpentage poétique de la capitale et de ses rues.
Mais ce qui rassemble plus profondément ce recueil c'est la question de la mémoire, et plus précisément de sa perte. Roubaud l'hypermnésique écrit ici pour la première fois que sa mémoire l'« encombre ». En une manière de défi à l'oubli qui le guette depuis qu'il a atteint 80 ans, il revisite, dans les poèmes de la section intitulée « Exact », ses souvenirs d'enfance, épinglés un à un sur la page, comme s'il cherchait à les fixer pour toujours.
En s'interrogeant sur sa mémoire, Roubaud s'attaque à ce qui fonde son oeuvre tout entière et par ce geste la fait vaciller. Octogone peut donc se lire comme un livre d'adieu à la mémoire - c'est aussi, certainement, le plus élégiaque de ses recueils depuis Quelque chose noir.
Ces cent quarante-trois poèmes, qui ont pour point de départ un poème japonais ancien composé avant le milieu du XIV? siècle, forment une parenthèse orientale dans le travail de Jacques Roubaud. Après avoir fait subir une ou plusieurs transformations au texte choisi, pour l'amener à l'état de poème dans la langue française, Jacques Roubaud nous a restitué une des plus grandes poésies du monde.
«Trente et un au cube parce que poème qui est trente et un poèmes, chacun sur trente et une lignes, chacune de trente et une positions. Ainsi se constitue un cube d'écriture dont 31 et ses divisions (5/7/5/7/7) portent le rythme et dont la fiction est d'enfermer quelqu'un. La prison de paroles entoure une femme, origine d'une mémoire qui n'est pas faite de souvenirs. La parole des autres ou leur musique - Jodelle et Pachelbel, Hopkins et Biber - leurs images - Juan Gris - participent au siège de la faculté de chant. Ils en sont à la fin du poème remerciés. L'exploration amoureuse, son inachèvement, est en même temps exploration inachevée du langage.» Jacques Roubaud.
«Ces méditations s'inscrivent dans la continuité du dernier livre de Jacques Roubaud, Quelque chose noir, qui était inspiré par un deuil intime. La première partie de l'ouvrage fait penser à la récente exposition de ces natures mortes philosophiques qu'on nommait, au XVII? siècle, des Vanités. Le titre du livre fait référence à un ouvrage anglais de logique mathématique de David Lewis. On pourrait avancer l'hypothèse de lecture suivante:Encore en proie à la souffrance et à la perte de l'être aimé, le poète cherche un refuge possible à la solitude du malheur dans les ressources que peut offrir à l'être acculé au mur de la mort la possibilité (logique et logiquement exposée dans le livre de David Lewis) de l'existence d'autres univers, à l'envers ou dans un ailleurs de ce mur de la mort. Chaque texte - de méditation - tourne, et retourne, comme un mathématicien maniant des théorèmes, les possibilités d'une délivrance de l'enfermement douloureux du deuil. La qualité de ces textes, souvent énigmatiques, c'est que le fonctionnement de l'intellect et la douleur affective y sont indissolublement liés. La seconde partie, La maladie de l'âme, abandonne la réflexion logique et mathématique. La troisième, Cercles en méditation, conduit à un climat plus apaisé, un retour de l'âme non vers une happy end, mais vers le vide vivant de la vie.» Bulletin Gallimard, oct. 1991.
Le banc J'aurais un banc avec mon nom. Mais Russell Square Nonobstant son voisinage pour logicien (Herbrand, Montague streets) ne me paraît pas bien Protégé contre les coups de quelque arbitraire London Council (le banc de mrs Anstruther Jane, érigé «to her memory, by her friends» N'est plus, où je lisais le Times, avant d'atteindre The British Library's Reading Room). Donc, que faire ?
Comme Franck Venaille acheter à Kew Gdns Un emplacement, s'il en est de disponibles, Sous un grand hêtre où habitent des écureuils Je voudrais, de mon vivant m'y asseoir, la Bible Du Roi James sur mes genoux, pieds dans les feuilles Lire : que tout est vain. Et puis : que tout est vain.
Jacques Roubaud.
«Il m'est arrivé en 1918 la première aventure céleste de monsieur Antipyrine, en 1919 la deuxième; en 1918 encore la lucarne ovale de Pierre Reverdy, en 1923 Rrose Sélavy de Marcel Duchamp et Robert Desnos... De tous ces poèmes, composés dans les dix-huit années (1914-1932) qui précédèrent ma naissance, j'ai fait ce livre, chapitre dixième d'une autobiographie:la vie est unique, mais les paroles d'avant la mémoire font ce qu'on en dit.» Jacques Roubaud.
Aux environs de l'an mille un conteur gallois, alors âgé de cent neuf ans, entreprend le récit d'événements qui ont bouleversé le royaume de Brycheiniog.Tout commence par un rêve du roi Glendwr que Myrddin (aussi connu sous le nom de Merlin), son enchanteur, lui interprète comme suit : «Ton rêve t'annonce qu'une fille de parents nobles va naître dans ton royaume avant un an ; cette fille à l'âge de seize ans ne sera plus pucelle et te tuera auprès d'une fontaine quand tu tenteras de la violer, pour l'avoir vue nue de face, de pile et de côté, et en avoir été saisi d'un désir virulent de prendre en elle ton plaisir. - Et que puis-je faire ? - À mon avis, rien du tout. Ce qui a dû arriver arrivera, je veux dire est arrivé. Ce qui doit arriver est arrivé, je veux dire arrivera. Au revoir.»Cette jeune fille est l'héroïne de ces aventures véridiques, Le Chevalier Silence, qu'Heldris de Cornouailles a écrites en gallois, que mon ancêtre le troubadour Rubaut traduisit autrefois en provençal et que j'ai, à mon tour, à l'approche du troisième millénaire, mises en langue française, en les adaptant légèrement.Jacques Roubaud.
Métro[...] En ces temps-làOn vous poinçonnait le ticket et pas qu'aux LilasIl y avait les voitures de première classeQui sentaient la première classeComme Mireille Balin dans Pépé le MokoAvant d'entrer dans les stations on lisaitSur le mur du tunnel«Du Bo du Bon Dubonnet»Et ça rappelait l'avant-guerreÀ ceux qui ne l'avaient pas vécue(Aux autres aussi d'ailleurs)Pierre DacVendait des enclumes «à la sauvette»Dans les couloirs de la station Campo-FormioAh jeunesse!Ah jeunesse!Ah!Mais en ces temps-làN'est-ce pasIl n'y avait pas de station dont le nom de baptême futBOBIGNY-PANTIN-RAYMOND QUENEAUCeciCompenseCelaJacques Roubaud.
Ce recueil se compose de quatre ensembles précédés par un prologue explicatif. Jacques Roubaud y fait part de son expérience d'auditeur-lecteur, notamment au Festival international de poésie, à Cambridge, en 1977. Il montre comment une pratique de diction poétique conduite par ce qu'il appelle une stratégie de l'inattention, où la voix de celui qui lit reste ouverte aux sollicitations du lieu et du moment, l'a amené à concevoir la triple séquence de Dors, qui constitue la partie centrale de son recueil. Sur le thème du sommeil de la femme aimée, une soixantaine de variations reproduisent l'humeur de l'auteur (silence, calme, indifférence) au moment de la conception de l'oeuvre, et aussi la passivité rêveuse éprouvée lors d'une diction ou d'une audition publique. À partir de quelques mots, les poèmes sont autant de variantes mobiles d'un même haïku. On pense aux compositions musicales de Webern, non seulement par le laconisme formel, mais aussi par l'utilisation des effets de récurrence. Enfin, il y a une suite de coblas intitulés Tombeaux de Pétrarque où la profusion lyrique s'allie à une extrême densité verbale.
« Trésor épique et féerique, source d'un merveilleux qui enchanta l'Europe entière pendant des siècles, le cycle du Graal est d'une richesse encore peu explorée par les écrivains contemporains.Nous en avons tiré une suite dramatique en dix branches ou pièces, qui commence par la fondation de deux chevaleries:l'une céleste, par Joseph d'Arimathie, l'autre terrienne, par l'enchanteur Merlin. Elles se rejoignent autour du roi Arthur et de la reine Guenièvre à la Table Ronde. Viennent ensuite les Temps Aventureux dont les héros sont Gauvain, Perceval, Lancelot, Galehaut, les fées Viviane et Morgane, bien d'autres. Notre roman breton s'achève sur deux disparitions:celle du Graal emporté au ciel par Galaad et celle du roi Arthur emporté sur la mer...En nous inspirant des textes médiévaux tant français que gallois, anglais, allemands, espagnols, portugais, italiens, nous poursuivons les enchantements de ce que Dante appela les si belles errances du roi Arthur».Les scribes:Florence Delay, Jacques Roubaud.