La mère, La Varienne, c'est l'idiote du village. La petite, c'est Luce. Quelque chose en elle s'est arrêté. Pourtant, à deux, elles forment un bloc d'amour. Invicible. L'école menace cette fusion. L'institutrice, Mademoiselle Solange, veut arracher l'enfant à l'ignorance, car le savoir est obligatoire. Mais peut-on franchir indemne le seuil de ce monde ? L'art de l'épure, quintessence d'émotion, tel est le secret des Demeurées. Jeanne Benameur, en dentellière, pose les mots avec une infinie pudeur et ceux-ci viennent se nouer dans la gorge.
«Y a-t-il un signe de vie dans le ciel qui indique que quelque part, dans une ville, au milieu de tant et tant de gens, deux êtres sont en train de vivre quelque chose qui ne tient à rien, quelque chose de frêle comme un feu de fortune ?» Madame Lure est une vieille femme comme on en croise sans les remarquer. Dans l'appartement de son mari disparu, elle maintient chaque chose à sa place, tranquille et pour toujours. Elle évite tout souvenir, mais rêve grâce aux brochures de voyages qu'elle étale sur la table de la cuisine. Yvonne Lure entre dans les photographies, y sourit, y vit. Un jour, surprenant les doigts voleurs d'un jeune homme dans un grand magasin, elle se met à le suivre de façon irréfléchie jusqu'à son campement, sous l'arche d'un pont. Qu'ont-il en commun, Yvonne, celle qui garde, et Vargas, l'errant ? D'une écriture forte et lumineuse, Jeanne Benameur capte comme jamais les destins obscurs de deux parias innocents, tissant entre eux des liens intenses. Ressuscitant des pans de mémoire plapitante, elle aiguise le vide en chacun de nous.
Elle aurait voulu être une bête, au moins ça aurait été clair. Elle est juste professeur de la vie et de la terre, mais il n'y a plus de vie il n'y a plus de terre sous ses pieds quand son amant part. Alors au collège, elle n'y va pas. Qu'est-ce qu'elle enseignerait, hein ? Son corps enseignant, il est ici. Son intelligence, sa patience, son savoir, tout pourrit sans caresse. Elle se racornit comme les feuilles de certaines plantes quand elles manquent d'eau. Elle peut juste attendre qu'il revienne ou qu'elle reparte le voir. Toute la vie suspendue dans l'intervalle. Sans son corps, elle ne peut pas enseigner. C'est comme ça. Le corps peut manquer à l'appel.
D'une écriture incisive et empathique, Jeanne Benameur brosse le portrait de tous les acteurs d'un collège de banlieue avant les émeutes, questionnant leur présence vive. Avec émotion, elle débusque les symboliques occultées du monde scolaire et les drames intimes de chacun : une brèche s'ouvre pour une pédagogie à rebours de tous les tabous.