JULIETTE Viens, nuit ! Viens, Roméo ! Viens, mon jour dans la nuit. Car sur les ailes de la nuit, tu vas reposer Plus blanc que sur le dos du corbeau la neige, Viens, douce nuit, amoureuse au front noir, Donne-moi Roméo ; et, quand je serai morte, Prends-le, fais-le se rompre en petites étoiles, Lui qui rendra si beau le visage du ciel Que l'univers sera comme fou de la nuit Et n'adorera plus l'aveuglant soleil. (Acte III, scène II)
HAMLET Voici l'heure sinistre de la nuit, L'heure des tombes qui s'ouvrent, celle où l'enfer Souffle au-dehors sa peste sur le monde. Maintenant je pourrais boire le sang chaud Et faire ce travail funeste que le jour Frissonnerait de voir... Mais, paix ! D'abord ma mère. Oh, n'oublie pas, mon coeur, qui elle est. Que jamais Une âme de Néron ne hante ta vigueur ! Sois féroce mais non dénaturé. Mes mots seuls la poignarderont ; c'est en cela Que mon âme et ma voix seront hypocrites ; Mon âme ! aussi cinglantes soient mes paroles, Ne consens pas à les marquer du sceau des actes ! (Acte III, scène II).
Édition bilingue
Macbeth : Ce qu'un homme ose, je l'ose ! Viens à moi / Sous l'apparence de l'ours russe le plus farouche, / Du rhinocéros le plus hérissé, du tigre / Le plus féroce de l'Hyrcanie. Prends toute forme / Sauf celle-ci, et mes nerfs assurés ne trembleront pas. / Ou encore : revis, et défie-moi / Au combat à l'épée jusque sur la lande déserte / Et si je reste ici à trembler de peur, tu pourras me dire / Une poule mouillée.
Va-t'en, va-t'en, / Horrible spectre, image sans substance ! (Acte III, scène IV)
LEAR Ne me fais pas devenir fou, je t'en prie, ma fille.
Je ne te gênerai plus, mon enfant ; adieu.
Plus de rencontre à craindre ; désormais, Nous ne nous verrons plus. Pourtant, tu es ma chair Et mon sang, et ma fille. Ah, bien plutôt le mal Qui habite ma chair, et que je suis forcé De reconnaître mien. Tu es un chancre, Un furoncle pesteux, un abcès plein de pus Dans mon sang qu'il corrompt. Mais, va, je ne veux pas Te faire de reproches. Vienne l'opprobre À l'heure qu'il voudra, je ne l'appellerai Ni sur ton front le trait du porteur de foudre, Je ne dirai de toi rien de condamnable Au divin Jupiter, le juge. Amende-toi.
Si tu le peux. Deviens meilleure s'il t'est loisible.
Acte II, scène IV.
Dans le théâtre shakespearien, les lettres déclenchent de sombres intrigues. Subtils concentrés de style, elles révèlent des amours téméraires, empêchés ou tragiques. Ce très riche opuscule rassemble les lettres les plus mémorables qui émaillent l'oeuvre du Barde et nous offrent une perspective inhabituelle sur ses personnages hors du temps.
Dans cette pièce composée vers 1594, Shakespeare s'empare du court règne (juin 1483-août 1485) du dernier roi de la dynastie des Plantagenêt. Richard III vient clore une lignée qui eut à subir - ou à faire jouer à son profit - cette «violence / Frénétique et contre-nature» que fut la guerre des Deux-Roses entre les York et les Lancastre, jetant «frère contre frère, / Sang contre sang, soi contre soi».Richard, duc de Gloucester, est né laid et boiteux. Il se veut roi d'Angleterre, même si plusieurs degrés dans l'ordre de succession le séparent de la couronne et s'il lui faut pour cela assassiner ou réduire à l'impuissance tous les prétendants au trône:«Je suis déterminé à être un scélérat.».Usant de la ruse ou de la force, multipliant les masques et les mises en scène, Richard, sculpte peu à peu son chef-d'oeuvre:lui-même, ce personnage tout-puissant, enfin vengé de sa difformité.
C'est l'histoire d'un amour fou, celui d'un couple de jeunes amants contrariés dans leur passion et qu'un destin funeste conduit au trépas. Quelques mots, et les jeux sont faits : ils apprennent qui ils sont, jettent un regard au fond de l'abîme et préfèrent oublier. Qu'est-ce qui pourrait les arrêter ? Ni la méfiance qui naît avec l'expérience, ni les conseils d'une nourrice sans grand jugement ou de Frère Laurent, aussi candide qu'eux.Roméo et Juliette (1597) est une tragédie dédiée à la jeunesse : bouleversés par le miracle qui se joue en eux, ces deux enfants défient le monde qui les entoure et incarnent par leur pureté et leur innocence l'amour éternel.
Dans la dernière pièce de Shakespeare, un souverain, Prospéro, et sa fille, échouent sur une île lointaine. Prospéro, qui est magicien, triomphe de tous les périls, notamment grâce à Ariel, un esprit; mais cette féerie dramatique pose les plus graves questions:«Cette apparence, cette jeunesse d'Ariel, cette vie qui semble si naturellement pour la terre, non pour le ciel, c'est évidemment une des questions latentes de La Tempête; et une des grandes raisons de l'étonnement de Shakespeare devant la magie comme y crut longtemps Prospéro.»Yves Bonnefoy.
À la suite d'un naufrage, les jumeaux Viola et Sébastien échouent séparément en Illyrie. Sans ressources ni protection, Viola est contrainte de se travestir pour entrer à la cour d'Orsino, le seigneur du lieu. Sous le nom de Césario, elle devient le page d'Orsino, qui lui propose de s'entremettre entre lui et celle qu'il aime, Olivia. Mais cette dernière se montrera moins sensible aux arguments d'Orsino qu'aux charmes ambigus du jeune page... Comédie mettant en scène un chassé-croisé amoureux rythmé de bouffonneries, La Nuit des Rois a servi de divertissement pour les fêtes de l'Épiphanie au temps du règne d'Élisabeth I. Interrogeant avec gaieté les identités fluctuantes et le travestissement, elle est donnée ici dans une édition bilingue et dans la belle traduction de Pierre Leyris, qui tire pleinement parti du style et du désordre joyeusement baroques de ce chef-d'oeuvre de Shakespeare.
Ce volume rassemble trois comédies badines et féroces : multipliant personnages, lieux et intrigues, elles peignent une grande fresque turbulente et frivole où s'enchevêtrent les thèmes de l'amour et de la vertu. La légèreté apparente du bal des masques, qu'il ait lieu à Venise, à Messine ou au coeur d'une forêt des Ardennes, vacille ici et là sous l'effet d'un souffle tragique ; au coeur de la comédie, Shakespeare déploie une réflexion sur les pouvoirs de la fiction : «Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Tous ont leurs entrées et leurs sorties, et chacun y joue successivement les différents rôles d'un drame en sept âges» (Comme il vous plaira, II, 7).
Othello «Doucement. Que je vous dise encore un mot ou deux Avant votre départ. J'ai rendu à l'État Quelques services, cela se sait : n'en parlons plus. Et quand vous rendrez compte dans vos lettres De ces événements malheureux, s'il vous plaît Dépeignez-moi tel que je suis : sans atténuer Quoi que ce soit, ni l'aggraver par malveillance. De qui, en ces instants, devrez-vous parler ? D'un qui n'aima que trop, bien que sans sagesse, D'un être peu enclin à la jalousie, qui, pourtant, Manoeuvré, perdit tout de son jugement, Jetant, comme le pauvre Indien, à tout venant, la perle Qui valait plus que toute sa tribu. D'un homme Dont les yeux accablés par la souffrance, Bien que peu habitués à verser des larmes, Le font avec la même force, précipitée, Que l'arbre d'Arabie répand la myrrhe Qui, elle, est secourable. Mettez cela par écrit.» (Acte V, scène 2.)
On ne résume guère cette pièce, qui est d'une extrême complication, digne des pastorales baroques et maniéristes. Une cour entière est réfugiée en forêt autour de son roi exilé, Frédéric.
C'est alors la peinture des intrigues amoureuses avec masques et changements de sexe, mélancoliques et passionnés, sages et bouffons, jusqu'au rétablissement final de chacun dans ses droits.
Le duc de Vienne reconnaît qu'il n'a jamais veillé à l'application d'une loi punissant de mort l'adultère ou la fornication. Prétextant une mission secrète lui imposant une longue absence (en réalité, il se déguise en moine sous un autre nom), le duc confie la tâche de restaurer l'ordre moral au juge Angelo, connu pour son intégrité et sa rigueur. Un jeune seigneur, Claudio, en est la première victime, ayant engrossé avant le mariage Julietta, la femme qu'il aime. La soeur de Claudio, Isabella, tente d'intercéder en sa faveur. Mais le juge Angelo, en proie aux contradictions de la chair et de l'esprit, s'éprend d'elle. Il lui propose la tête de son frère contre sa virginité. C'est alors que le duc, sous ses habits de moine, met au point un stratagème qui emmènera la pièce vers la comédie et l'action. Une mesure de tragédie, donc, pour une mesure de comédie.
«Brutus Préférez-vous César vivant, et mourir esclaves, ou César mort, et tous vivre libres ? César m'aimait, je le pleure. Il connut le succès, je m'en réjouis. Il fut vaillant, je l'honore. Mais il fut ambitieux et je l'ai tué. Pour son amitié, des larmes. Pour sa fortune, un souvenir joyeux. Pour sa valeur, du respect. Et pour son ambition, la mort. Qui parmi vous est assez vil pour accepter d'être esclave ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé. Qui est assez grossier pour ne pas désirer d'être un Romain ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé. Qui est abject au point de n'aimer pas son pays ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé.» (Acte III, scène 2)
Entre une cérémonie de noces brutalement interrompue et un mariage unissant deux êtres connus pour se haïr, Beaucoup de bruit pour rien nous rappelle que l'amour ne suit jamais un cours régulier. Étincelante et jubilatoire, cette comédie romantique n'en repose pas moins sur un constat amer:tout n'est que vanité... et aimer, c'est d'abord s'éprendre de soi-même, pour le meilleur et pour le pire.
Shakespeare : Sonnets Probablement ne saura-t-on jamais qui était au juste le mystérieux W. H. à l'intention de qui le grand dramaturge anglais composa, entre sa vingt-neuvième et sa trente-deuxième année, ce recueil de sonnets, les plus célèbres de la langue anglaise. Cette énigme et le sujet même de l'oeuvre une passion pour un jeune homme, sans doute issu de la noblesse l'auréolent d'un halo de scandale.
Mais au-delà de ce mystère biographique et grâce à lui peut-être cette oeuvre s'offre d'abord à nous comme un des plus admirables ensembles lyriques amoureux de la poésie occidentale. L'enchantement, la jalousie, la nostalgie, le plaisir, l'angoisse de l'éphémère et le rêve d'immortalité : autant de thèmes exprimés ici avec une véracité qui place ces Sonnets aux côtés des chefs-d'oeuvre de Ronsard et de Pétrarque.
Dans cette traduction, fruit de plusieurs années de travail, Jean Malaplate unit l'exactitude littérale à une musicalité parfaite, qui nous restitue admirablement la voix de Shakespeare et l'ambiance élisabéthaine.
Shakespeare Hamlet / Othello / Macbeth :
« La vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de fureur et de bruit, et qui ne signifie rien.
» Macbeth, acte V, scène v.
Hamlet, Othello, Macbeth, une même histoire de chair, d'amour et de mort. Des mains sont rougies d'un sang innocent qu'aucun parfum d'Arabie ne lavera. Les spectres et les sorcières mènent la danse. Ils incitent Hamlet à tuer son oncle, meurtrier de son père et amant de sa mère ; Othello son épouse qu'il croit infidèle ; Macbeth son roi, pour prendre la couronne. Le cauchemar de chacun devient réalité. « Il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark », en Ecosse et à Venise. Les trois héros ont provoqué le destin. Il les écrasera, faisant périr aussi Ophélie et Desdémone, l'amour et la pureté. Le génie de Shakespeare est de dire toute l'incertitude de la condition humaine, ses rêves, sa gloire, sa petitesse.
Edition présentée et commentée par Yves Florenne.
Amoureux de Portia, belle et riche héritière, Bassanio, gentilhomme désargenté, s'efforce d'obtenir sa main. Pour l'aider, son ami Antonio marchand chrétien, emprunte une somme de 3000 ducats à l'usurier juif Shylock qui lui demande, en cas de non remboursement de la dette, une livre de sa chair. Le jour de l'échéance, la dette n'étant pas réglée, Shylock exige l'exécution de la clause. Mais l'habileté de Portia, déguisée en « docteur de droit civil», confond l'usurier retors et sauve Antonio Shylock, ridiculisé, spolié et trahi par sa fille qui a rejoint le camp des Chrétiens, s'en va seul tandis que les jeunes gens, loin des tracas du commerce et du fracas des procès, s'abandonnent à la félicité, aux sons - joyeux et graves à la fois - d'une musique qui évoque non seulement l'harmonie terrestre retrouvée mais aussi l'harmonie céleste dont elle est l'écho.
«Shakespeare, c'est la fertilité, la force, l'exubérance, la mamelle gonflée, la coupe écumante, la cuve à plein bord, la sève par excès, la lave en torrent, les germes en tourbillons, la vaste pluie de vie, tout par milliers, tout par millions, nulle réticence, nulle ligature, nulle économie, la prodigalité insensée et tranquille du créateur. À ceux qui tâtent le fond de leur poche, l'inépuisable semble en démence. A-t-il bientôt fini? jamais. Shakespeare est le semeur d'éblouissements.» Victor Hugo.
Roi controversé de la fin du XIV? siècle, figure mystérieuse et tragique, Richard II voit son autorité contestée par son cousin, Henry Bolingbroke, qu'il avait fait exiler. Complots, traîtrises, rébellions et félonies s'entremêlent dans la lumière crépusculaire d'une fin de règne. Trahi et abandonné des siens, le souverain s'interroge sur le rapport de l'homme au pouvoir : peut-on gouverner sans être corrompu par sa propre autorité ?Écrite en 1595, cette tragédie plus philosophique que violente a une valeur initiatique : en destituant le dernier roi légitime, l'Angleterre entre dans une période de conflits sanglants qui ne trouvera sa résolution qu'à la fin de Richard III.
PerditaVotre jeune saison... et la vôtre et la vôtre,Vous qui portez toujours, sur vos branches pures,Votre virginité en fleur... O Proserpine,Que n'ai-je encor les fleurs qu'en ton effroi,Du char de Pluton tu laissas tomber ! Le narcisseQui point avant que l'hirondelle ne se risqueEt qui émeut les vents de Mars de sa beauté,Et la violette, sombre mais plus suaveQue les paupières de Junon ou que l'haleineDe Cythérée. Les pâles primevères Qui meurent non mariées, sans avoir vuDans tout son feu Phébus.(Acte IV, scène 4)
«Divinité de l'enfer ! Quand les démons veulent produire les forfaits les plus noirs, ils les présentent d'abord sous des dehors célestes, comme je fais en ce moment. [...] C'est ainsi que je changerai sa vertu en glu, et que de sa bonté je ferai le filet qui les enserrera tous...»Tels les mots que le perfide Iago se murmure à lui-même, ces tragédies de Shakespeare sont une plongée dans le mal absolu. Trois destins brisés d'hommes autrefois grandioses, trois histoires lamentables au coeur de la folie et de l'effroi. Jamais la jalousie ne fut mieux étudiée que celle du Maure vénitien Othello, jamais le désespoir d'un père n'eut de visage plus navrant que celui du roi Lear, jamais l'ambition criminelle ne fut tant gorgée d'horreurs que celle de Macbeth.
Noble Orsino, Vous me donnez des noms que je refuse, Je n'ai rien d'un voleur ou d'un pirate Même si, je l'avoue, je l'ai prouvé, Je fus votre ennemi. Si je suis là, C'est attiré par un pouvoir magique :
Cet ingrat, ce garçon à vos côtés, De la bouche écumante des tempêtes Je l'ai sauvé ; il n'avait plus d'espoir ;
En lui rendant la vie, c'est mon amour Que je lui ai offert, sans restriction, En me vouant à lui.