A Vérone, où les Montaigu et les Capulet se vouent une haine ancestrale, Roméo, fils de Montaigu, est amoureux de Rosaline, tandis que Capulet s'apprête à donner une grande fête pour permettre à Juliette, sa fille, de rencontrer le comte Pâris qui l'a demandée en mariage. Parce qu'il croit que Rosaline s'y trouvera, Roméo se rend au bal - et pour Juliette éprouve un coup de foudre aussitôt réciproque. Sous le balcon de la jeune fille, il lui déclare le soir même son amour puis, le lendemain, prie frère Laurent de les marier et de réconcilier leurs familles ennemies. Mais voici que, sur une place de Vérone, Tybalt, cousin de Juliette, provoque Roméo qui refuse de se battre. Mercutio, son ami, dégaine à sa place, mais lorsque Roméo voit Mercutio mortellement frappé par Tybalt, il décide de le venger : Tybalt tombe à son tour, et ce qui était une comédie vire à la tragédie.
Si, dans cette pièce que Shakespeare compose vers 1595, les amants de Vérone sont ainsi promis au tragique, c'est que le destin leur est hostile. Star-crossed lovers, Roméo et Juliette sont seulement nés sous une mauvaise étoile : ils ne sont victimes ni d'une faute ni de leur amour, mais d'une suite de circonstances malheureuses qui mettront à mort cet amour - et feront de leur histoire, pour plusieurs siècles, un mythe.
Traduction nouvelle de François Laroque et Jean-Pierre Villquin.
Edition de François Laroque.
HAMLET Voici l'heure sinistre de la nuit, L'heure des tombes qui s'ouvrent, celle où l'enfer Souffle au-dehors sa peste sur le monde. Maintenant je pourrais boire le sang chaud Et faire ce travail funeste que le jour Frissonnerait de voir... Mais, paix ! D'abord ma mère. Oh, n'oublie pas, mon coeur, qui elle est. Que jamais Une âme de Néron ne hante ta vigueur ! Sois féroce mais non dénaturé. Mes mots seuls la poignarderont ; c'est en cela Que mon âme et ma voix seront hypocrites ; Mon âme ! aussi cinglantes soient mes paroles, Ne consens pas à les marquer du sceau des actes ! (Acte III, scène II).
À la cour d'Athènes, Hermia en appelle à la clémence de son père Égée qui veut lui imposer comme mari Démétrius, alors qu'elle aime Lysandre. Pour échapper à son sort, elle se réfugie dans la forêt, bientôt suivie par les autres protagonistes. Là, Obéron, roi des elfes, qui vient de se quereller avec sa femme Titania, fait appel au malicieux lutin Puck et à ses philtres d'amour. De nombreuses aventures amoureuses vont alors se croiser, se faire et se défaire, au gré des sortilèges et des intrigues, mêlant monde classique et monde légendaire.
Cette comédie à la fantaisie débridée se double d'une saveur parodique et satirique : les amours heureuses sont-elles possibles sans enchantement ? Avec Le Songe d'une nuit d'été, Shakespeare donne libre cours à une incroyable liberté d'imagination qui continue à fasciner le public moderne.
Traduction de François-Victor Hugo.
Édition établie et annotée par Yves Florenne.
Macbeth : Ce qu'un homme ose, je l'ose ! Viens à moi / Sous l'apparence de l'ours russe le plus farouche, / Du rhinocéros le plus hérissé, du tigre / Le plus féroce de l'Hyrcanie. Prends toute forme / Sauf celle-ci, et mes nerfs assurés ne trembleront pas. / Ou encore : revis, et défie-moi / Au combat à l'épée jusque sur la lande déserte / Et si je reste ici à trembler de peur, tu pourras me dire / Une poule mouillée.
Va-t'en, va-t'en, / Horrible spectre, image sans substance ! (Acte III, scène IV)
LEAR Ne me fais pas devenir fou, je t'en prie, ma fille.
Je ne te gênerai plus, mon enfant ; adieu.
Plus de rencontre à craindre ; désormais, Nous ne nous verrons plus. Pourtant, tu es ma chair Et mon sang, et ma fille. Ah, bien plutôt le mal Qui habite ma chair, et que je suis forcé De reconnaître mien. Tu es un chancre, Un furoncle pesteux, un abcès plein de pus Dans mon sang qu'il corrompt. Mais, va, je ne veux pas Te faire de reproches. Vienne l'opprobre À l'heure qu'il voudra, je ne l'appellerai Ni sur ton front le trait du porteur de foudre, Je ne dirai de toi rien de condamnable Au divin Jupiter, le juge. Amende-toi.
Si tu le peux. Deviens meilleure s'il t'est loisible.
Acte II, scène IV.
Ce volume réunit l'ensemble de l'oeuvre lyrique de Shakespeare et met un point final à l'édition des oeuvres complètes de Shakespeare dans la Pléiade.
Vénus et Adonis (1593) et Le Viol de Lucrèce (1594) ont connu en leur temps un vif succès, notamment de scandale : si l'on ne voit parfois dans ces petites épopées mythologiques et érotiques que des exercices d'imitation sur des sujets tirés d'Ovide, leur charge subversive, bien réelle, n'échappa pas aux lecteurs contemporains. Les Sonnets (1609), au contraire, sont passés presque inaperçus lors de leur publication. Ils sont pourtant devenus l'un des fleurons de l'oeuvre de Shakespeare. Loin de n'être qu'un miroir où se lirait la vie bisexuelle de William S. à travers le triangle amoureux que le poète y dessine avec le « beau garçon » et la « noire maîtresse » auxquels il s'adresse, le recueil, ici retraduit par Jean-Michel Déprats, possède une force qui excède largement la question sexuelle. Figures de styles et effets sonores contribuent à d'infinis croisements entre les mots et la pensée (et la pensée dans les mots). Il n'y a pas d'interdits de langage pour Shakespeare : son invention est aimantée par une subversion, morale et esthétique, de tous les instants.
En France, les sonnets ne sont traduits qu'à partir de 1821, et ce n'est qu'en 1857 que François-Victor Hugo en donne une traduction intégrale. Traductions et réécritures se multiplient ensuite. L'anthologie qui clôt le volume donne à saisir les métamorphoses auxquelles s'est prêté, et continue de se prêter, ce monument de la poésie universelle.
Dans le théâtre shakespearien, les lettres déclenchent de sombres intrigues. Subtils concentrés de style, elles révèlent des amours téméraires, empêchés ou tragiques. Ce très riche opuscule rassemble les lettres les plus mémorables qui émaillent l'oeuvre du Barde et nous offrent une perspective inhabituelle sur ses personnages hors du temps.
Dans cette pièce composée vers 1594, Shakespeare s'empare du court règne (juin 1483-août 1485) du dernier roi de la dynastie des Plantagenêt. Richard III vient clore une lignée qui eut à subir - ou à faire jouer à son profit - cette «violence / Frénétique et contre-nature» que fut la guerre des Deux-Roses entre les York et les Lancastre, jetant «frère contre frère, / Sang contre sang, soi contre soi».Richard, duc de Gloucester, est né laid et boiteux. Il se veut roi d'Angleterre, même si plusieurs degrés dans l'ordre de succession le séparent de la couronne et s'il lui faut pour cela assassiner ou réduire à l'impuissance tous les prétendants au trône:«Je suis déterminé à être un scélérat.».Usant de la ruse ou de la force, multipliant les masques et les mises en scène, Richard, sculpte peu à peu son chef-d'oeuvre:lui-même, ce personnage tout-puissant, enfin vengé de sa difformité.
C'est l'histoire d'un amour fou, celui d'un couple de jeunes amants contrariés dans leur passion et qu'un destin funeste conduit au trépas. Quelques mots, et les jeux sont faits : ils apprennent qui ils sont, jettent un regard au fond de l'abîme et préfèrent oublier. Qu'est-ce qui pourrait les arrêter ? Ni la méfiance qui naît avec l'expérience, ni les conseils d'une nourrice sans grand jugement ou de Frère Laurent, aussi candide qu'eux.Roméo et Juliette (1597) est une tragédie dédiée à la jeunesse : bouleversés par le miracle qui se joue en eux, ces deux enfants défient le monde qui les entoure et incarnent par leur pureté et leur innocence l'amour éternel.
Dernière pièce de Shakespeare, écrite en 1611, La Tempête est une comédie, spectacle total aux ballets bien réglés, avec chants et musique, où domine l'art de l'enchanteur.
À la suite d'un naufrage, les jumeaux Viola et Sébastien échouent séparément en Illyrie. Sans ressources ni protection, Viola est contrainte de se travestir pour entrer à la cour d'Orsino, le seigneur du lieu. Sous le nom de Césario, elle devient le page d'Orsino, qui lui propose de s'entremettre entre lui et celle qu'il aime, Olivia. Mais cette dernière se montrera moins sensible aux arguments d'Orsino qu'aux charmes ambigus du jeune page... Comédie mettant en scène un chassé-croisé amoureux rythmé de bouffonneries, La Nuit des Rois a servi de divertissement pour les fêtes de l'Épiphanie au temps du règne d'Élisabeth I. Interrogeant avec gaieté les identités fluctuantes et le travestissement, elle est donnée ici dans une édition bilingue et dans la belle traduction de Pierre Leyris, qui tire pleinement parti du style et du désordre joyeusement baroques de ce chef-d'oeuvre de Shakespeare.
Ce volume rassemble trois comédies badines et féroces : multipliant personnages, lieux et intrigues, elles peignent une grande fresque turbulente et frivole où s'enchevêtrent les thèmes de l'amour et de la vertu. La légèreté apparente du bal des masques, qu'il ait lieu à Venise, à Messine ou au coeur d'une forêt des Ardennes, vacille ici et là sous l'effet d'un souffle tragique ; au coeur de la comédie, Shakespeare déploie une réflexion sur les pouvoirs de la fiction : «Le monde entier est un théâtre, et tous, hommes et femmes, n'en sont que les acteurs. Tous ont leurs entrées et leurs sorties, et chacun y joue successivement les différents rôles d'un drame en sept âges» (Comme il vous plaira, II, 7).
Comment le Maure Othello, valeureux général de l'armée vénitienne, en vient-il à se métamorphoser en bête sanguinaire ? Pourquoi un être d'une si haute noblesse se laisse-t-il convaincre par les calomnies d'un scélérat, jusqu'à tuer de ses mains son épouse bien-aimée ?Dans Othello, qui compte parmi les sommets du répertoire tragique, Shakespeare explore le vertige du mal pur - ce mal dont la naissance est obscure, banale, presque imperceptible, et qui soudain ouvre sous nos pas un gouffre au fond duquel on voit l'Enfer.
On ne résume guère cette pièce, qui est d'une extrême complication, digne des pastorales baroques et maniéristes. Une cour entière est réfugiée en forêt autour de son roi exilé, Frédéric.
C'est alors la peinture des intrigues amoureuses avec masques et changements de sexe, mélancoliques et passionnés, sages et bouffons, jusqu'au rétablissement final de chacun dans ses droits.
Même si toutes ont une fin heureuse, les dix-huit «comédies» de Shakespeare ne répondent guère à la définition classique du genre. On peut distinguer dans leur chronologie trois phases, que recouperont à peu près les trois tomes de cette édition.
La première phase, «maniériste», qui fait l'objet du présent volume, met l'éblouissante machinerie verbale du jeu de mots au service d'une esthétique de la surprise renversant tous les codes de l'amour pétrarquiste. Dans la deuxième, plus «baroque», l'ambiguïté verbale s'épanouira : c'est le triomphe des bouffons «corrupteurs de mots» (Feste dans La Nuit des rois, Pierre de Touche dans Comme il vous plaira) ; la mélancolie s'insinue cependant, et la duplicité des apparences (jumeaux, femmes déguisées en adolescents), déjà présente dans les oeuvres de la première période, se teinte d'un trouble plus prononcé ou évolue vers l'hypocrisie (Mesure pour mesure). La troisième période, celle des comédies «romanesques» (Le Conte d'hiver, Cymbeline, La Tempête...), se caractérisera par la complexité des intrigues, la multiplicité des personnages et l'opacité du «mystère» central qui les occupe ; leur esthétique de l'émerveillement coïncide avec la création des théâtres à machines.
De La Comédie des erreurs et du Dressage de la rebelle (La Mégère apprivoisée), imitées de Plaute et teintées de commedia dell'arte, au Marchand de Venise, qui mêle une comédie urbaine et cruelle à une intrigue galante et sentimentale, en passant par les désopilantes métamorphoses ovidiennes et la poésie féerique du Songe d'une nuit d'été ou par les jeux de langage en cascade - traits d'esprit affutés ou impropriétés cocasses - qui font toute la matière de Peines d'amour perdues, les pièces réunies dans ce premier volume reflètent la multiplicité des facettes d'une écriture toujours pleine d'insolence et d'alacrité.
«Commencées dans l'agitation, les comédies se terminent dans le calme, contrairement aux tragédies qui, commencées dans le calme, finissent en tempête.» La formule est du dramaturge Thomas Heywood, elle date de 1612 et a le mérite de la simplicité. Mais c'est aussi sa limite, le genre «comédie», si c'en est un, étant quant à lui plutôt complexe. Shakespeare a écrit dix-huit pièces ainsi désignées, et ce qu'ont en commun La Comédie des erreurs (1590-93) et La Tempête (1611) ne saute pas aux yeux. Reste qu'il est possible d'identifier dans cet ensemble trois phases, que recoupent à peu près les trois volumes de la Pléiade.
Après une première époque (1590-1598 ; t. I) qualifiée de «maniériste» et au cours de laquelle Shakespeare renverse les codes de l'amour pétrarquiste, c'est plus que jamais le sentiment amoureux qui confère leur (problématique) unité aux comédies écrites entre 1598 et 1604-06 (t. II). Il irrigue toutes les intrigues, des plus désopilantes aux plus romantiques, et s'accommode de toutes les modalités du comique. Comique énorme des Joyeuses Épouses de Windsor, «comédie sans comique» à l'autre bout du spectre : Tout est bien qui finit bien finit bien, mais contre toute attente. Entre ces deux extrêmes se déploient les «comédies brillantes». Jouant de la duplicité des apparences (trompe-l'oeil et anamorphoses sont alors en vogue), irrésistiblement séduisantes, elles mettent en scène le miroitement et les intermittences des coeurs.
La dernière phase (1607-1613 ; t. III) réunit des pièces traitées de tous les noms : romances (drames romanesques), «comédies du renouveau», pièces «bâtardes», «tragi-comédies» - ni comédies, car la mort rôde, ni tragédies, car on n'y meurt pas assez. (Il ne manque en somme à ce chapelet de qualificatifs que la «tragédie comico-historico-pastorale» imaginée par Polonius dans Hamlet.) C'est le temps des harmonies paradoxales : s'y accordent le comique et l'odieux, le rire et la peur, les danses et les funérailles. La joie des héros du Conte d'hiver «patauge dans les larmes», la tristesse du Palamon des Deux Nobles Cousins «est une sorte de joie composite».
Les intrigues de ces dernières pièces sont complexes. Strange est le mot qui, d'écho en écho, les traverse toutes. Les contrées sont inconnues, les rebondissements inattendus, les apparitions déconcertantes. Le merveilleux règne sans partage sur l'île enchantée de La Tempête. Puis «ce spectacle insubstantiel» s'évanouit ; Prospéro et ses semblables étaient «de l'étoffe dont les rêves sont faits». Les dernières comédies mettent en lumière le paradoxe de leur art : éphémères productions d'insaisissables rêveries, invraisemblables «histoires d'autrefois», elles pourraient ne pas nous concerner, et pourtant nous habitent.
C'est avec elles que s'achève la publication de l'édition bilingue du théâtre de Shakespeare à la Pléiade.
Le duc de Vienne reconnaît qu'il n'a jamais veillé à l'application d'une loi punissant de mort l'adultère ou la fornication. Prétextant une mission secrète lui imposant une longue absence (en réalité, il se déguise en moine sous un autre nom), le duc confie la tâche de restaurer l'ordre moral au juge Angelo, connu pour son intégrité et sa rigueur. Un jeune seigneur, Claudio, en est la première victime, ayant engrossé avant le mariage Julietta, la femme qu'il aime. La soeur de Claudio, Isabella, tente d'intercéder en sa faveur. Mais le juge Angelo, en proie aux contradictions de la chair et de l'esprit, s'éprend d'elle. Il lui propose la tête de son frère contre sa virginité. C'est alors que le duc, sous ses habits de moine, met au point un stratagème qui emmènera la pièce vers la comédie et l'action. Une mesure de tragédie, donc, pour une mesure de comédie.
«Brutus Préférez-vous César vivant, et mourir esclaves, ou César mort, et tous vivre libres ? César m'aimait, je le pleure. Il connut le succès, je m'en réjouis. Il fut vaillant, je l'honore. Mais il fut ambitieux et je l'ai tué. Pour son amitié, des larmes. Pour sa fortune, un souvenir joyeux. Pour sa valeur, du respect. Et pour son ambition, la mort. Qui parmi vous est assez vil pour accepter d'être esclave ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé. Qui est assez grossier pour ne pas désirer d'être un Romain ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé. Qui est abject au point de n'aimer pas son pays ? Si un tel homme existe, qu'il parle. Car lui, je l'ai offensé.» (Acte III, scène 2)
Pourquoi ? Mais quoi, toute chose terrestre Ne crie-t-elle sa honte ? A-t-elle pu Nier l'histoire imprimée dans son sang ?
Non, n'ouvre plus les yeux, Héro, sois morte.
Si je ne te pensais agonisante, Si je croyais que ta conscience allait Résister à tes hontes, c'est moi-même, Comme un dernier renfort de tes remords, Qui frapperais ta vie. Et j'étais triste De n'en avoir qu'un seul ? Et j'en voulais À la frugalité de la nature ?
Tu étais une en trop-pourquoi rien qu'une ?
Pourquoi as-tu toujours été aimable À mes regards ? Pourquoi, par charité, N'ai-je pas recueilli l'enfant d'un pauvre, Dont, s'il se fût ainsi souillé d'ordure, J'aurais pu dire : « Rien de moi n'est sale, C'est de reins inconnus que vient la honte. » « Écrite dans les dernières années du règne d'Elizabeth, en 1598, Beaucoup de bruit pour rien est la première des pièces que Shakespeare consacre plus particulièrement à la Rumeur. D'Othello (1603) au Conte d'hiver (1610) en passant par Cymbeline (1609), les chuchotements de la calomnie sèment la haine, la jalousie et la mort. [.] Mais son traitement dans cette comédie est différent de ce que l'on va trouver ailleurs, car si la Rumeur est calomnie et entraîne l'action vers la tragédie, elle peut aussi avoir des effets positifs. » Margaret Jones-Davies, extrait de la préface
Textes établis, présentés et annotés par les traducteurs et traductrices
«Commencées dans l'agitation, les comédies se terminent dans le calme, contrairement aux tragédies qui, commencées dans le calme, finissent en tempête.» La formule est du dramaturge Thomas Heywood, elle date de 1612 et a le mérite de la simplicité. Mais c'est aussi sa limite, le genre «comédie», si c'en est un, étant quant à lui plutôt complexe. Shakespeare a écrit dix-huit pièces ainsi désignées, et ce qu'ont en commun La Comédie des erreurs (1590-93) et La Tempête (1611) ne saute pas aux yeux. Reste qu'il est possible d'identifier dans cet ensemble trois phases, que recoupent à peu près les trois volumes de la Pléiade.
Après une première époque (1590-1598 ; t. I) qualifiée de «maniériste» et au cours de laquelle Shakespeare renverse les codes de l'amour pétrarquiste, c'est plus que jamais le sentiment amoureux qui confère leur (problématique) unité aux comédies écrites entre 1598 et 1604-06 (t. II). Il irrigue toutes les intrigues, des plus désopilantes aux plus romantiques, et s'accommode de toutes les modalités du comique. Comique énorme des Joyeuses Épouses de Windsor, «comédie sans comique» à l'autre bout du spectre : Tout est bien qui finit bien finit bien, mais contre toute attente. Entre ces deux extrêmes se déploient les «comédies brillantes». Jouant de la duplicité des apparences (trompe-l'oeil et anamorphoses sont alors en vogue), irrésistiblement séduisantes, elles mettent en scène le miroitement et les intermittences des coeurs.
La dernière phase (1607-1613 ; t. III) réunit des pièces traitées de tous les noms : romances (drames romanesques), «comédies du renouveau», pièces «bâtardes», «tragi-comédies» - ni comédies, car la mort rôde, ni tragédies, car on n'y meurt pas assez. (Il ne manque en somme à ce chapelet de qualificatifs que la «tragédie comico-historico-pastorale» imaginée par Polonius dans Hamlet.) C'est le temps des harmonies paradoxales : s'y accordent le comique et l'odieux, le rire et la peur, les danses et les funérailles. La joie des héros du Conte d'hiver «patauge dans les larmes», la tristesse du Palamon des Deux Nobles Cousins «est une sorte de joie composite».
Les intrigues de ces dernières pièces sont complexes. Strange est le mot qui, d'écho en écho, les traverse toutes. Les contrées sont inconnues, les rebondissements inattendus, les apparitions déconcertantes. Le merveilleux règne sans partage sur l'île enchantée de La Tempête. Puis «ce spectacle insubstantiel» s'évanouit ; Prospéro et ses semblables étaient «de l'étoffe dont les rêves sont faits». Les dernières comédies mettent en lumière le paradoxe de leur art : éphémères productions d'insaisissables rêveries, invraisemblables «histoires d'autrefois», elles pourraient ne pas nous concerner, et pourtant nous habitent.
C'est avec elles que s'achève la publication de l'édition bilingue du théâtre de Shakespeare à la Pléiade.
On ne traduit bien que son proche, paraît-il.
Traduisant shakespeare, je pars à la rencontre de quelqu'un qui me ressemble assez pour me rester accessible. à l'évidence, ce que nous avons de voisin c'est notre expérience du monde en tant qu'homme, du vers et de la forme en tant que poète. entretenir ce voisinage n'est pas une communauté certes, mais peut-être du bois pour en faire. b.d.
Depuis de longues années, Yves Bonnefoy s'est persuadé que quelque chose de décisif a été expérimenté par Shakespeare dans l'assez brève période où l'auteur de Hamlet a écrit ses Sonnets. « Il a fait de ceux-ci, précise Yves Bonnefoy, une réflexion sur la poésie, de laquelle a résulté qu'il a choisi de cesser d'écrire des poèmes ; lesquels l'avaient rendu aussi notoire que son premier théâtre, pour se consacrer entièrement à la scène : choix qui, en profondeur, était en fait celui de la poésie en un sens plus moderne que celui que son époque plaçait dans les poèmes et leur prosodie régulière. C'est un choix qui est d'ailleurs reflété, médité et même explicité dans les pièces de très exactement ou juste après le moment où furent écrits les sonnets, notamment Roméo et As you like it. Je crois qu'il y a là une approche susceptible d'éclairer tout le théâtre de Shakespeare. »
Représentée le 1er novembre 1611 devant la cour du roi Jacques Ier, La Tempête est une des dernières pièces de Shakespeare. Dans cette histoire d'amour et de pardon, les choses ne sont jamais ce qu'elles semblent être. Cette île est aussi mystérieuse que les personnages qui l'habitent : le magicien Prospéro, sa fille Miranda, l'esclave Caliban, ou encore Ariel, l'esprit des airs. Le bonheur de cette traduction d'Éric Sarner est d'en avoir retranscrit la richesse poétique, l'enchantement et l'humour. C'est le langage haletant ici qui l'emporte. Sans cesse le rythme déborde le sens, faisant de La Tempête une bourrasque heureuse et imprévisible.