Jean-Jacques Goldman n'est pas seulement un grand nom de la chanson. Il est aussi un enfant d'immigrés juifs devenu la personnalité préférée des Français, un artiste engagé après la mort des utopies, un artisan au coeur des industries culturelles, un homme en rupture avec les codes virils. Le succès n'a affecté ni sa droiture ni son humilité.
Pour exister, Goldman a dû composer avec les règles de son temps, mais il a fini par composer lui-même l'air du temps, les chansons que les filles écoutaient dans leur chambre, les tubes sur lesquels tous les jeunes dansaient, les hymnes des générations qui se pressaient à ses concerts.
Et puis, au sommet de la gloire, l'hyperstar a choisi de se retirer. Dans la folie des réseaux sociaux, son invisibilité le rend étrangement visible. À force d'absence, et parce qu'il n'a jamais été aussi présent, Goldman est devenu un mythe.
Ce livre retrace le parcours d'un artiste exceptionnel, tout en racontant nos années Goldman.
Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non, rassurez-vous, ce n'est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons...
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s'abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.
La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.
J.-Cl. G.
« Vous est-il déjà arrivé un soir de réveillon de croiser le père Noël égaré dans votre propre cheminée ? Ou vous êtes-vous déjà endormi dans votre petit lit douillet et réveillé quelque part entre Pitchik et Pitchouk étoilé et numéroté ? Non ? Alors réjouissez-vous car ce conte est pour vous.
Une très vieille personne - de mon âge, c'est tout dire - me confia sous le sceau du secret la recette de ce conte de Noël à déguster chaud ou froid, été comme hiver, avec un jus de citron ou un verre de vodka, seul ou avec la terre entière, à l'hosto ou chez soi près de sa cheminée Napoléon III. » Une vieille dame indigne, Rosette Rosenfeld, un soir de Noël et au soir de sa vie, passant une tête par sa cheminée Napoléon III, croise celui qu'elle espérait y rencontrer : le père Noël, membre des Pères Noël associés et... au bord du burn-out. De l'Ehpad - où les desserts sont bios et déchocolatés - qui finit par l'accueillir, aux songes nocturnes dans lesquels elle croise son mari disparu et ancien déporté, et ses beaux-parents venus pour l'un de Pitchik, pour l'autre de Pitchouk, Jean-Claude Grumberg nous invite à suivre ses tribulations, toujours à l'ombre de l'histoire et de sa grande hache, prêtant à ce conte de Noël sa plume burlesque et pleine d'humour, jusqu'à ce qu'entre deux rires l'émotion saisisse le lecteur à la gorge.
Certains ouvrages ont enchanté des générations de lecteurs, transformé nos connaissances, posé les fondements d'un monde nouveau. D'autres au contraire se sont révélés odieux ou nocifs. Aux uns et aux autres sont consacrées des thèses et des études savantes. Il existe en revanche des livres dont on ne parle jamais, des livres « ordinaires », certes bien plus nombreux mais qui peu de temps après leur parution tombent dans l'oubli.
C'est sur l'un de ces livres discrets que se penche aujourd'hui Michel Pastoureau. À dire vrai, s'il est quelque peu oublié, il n'est pas totalement anodin puisqu'il s'agit de sa première publication, La Vie quotidienne au temps des chevaliers de la Table Ronde, parue chez Hachette, dans une collection célèbre, en 1976. Elle était consacrée à la légende arthurienne et à la société chevaleresque des XIIe et XIIIe siècles. Raconter aujourd'hui l'histoire de cet ouvrage de jeunesse est pour l'auteur l'occasion d'évoquer un certain nombre de souvenirs, de rendre une dernière visite au roi Arthur, et surtout de faire oeuvre historiographique. Que signifiait alors publier un premier livre ? Comment un jeune historien inconnu pouvait-il affronter les moeurs étranges de l'édition française ? Quel était alors le statut de la vulgarisation historique ? Et qu'est-elle devenue aujourd'hui ?
C'est durant la réception internationale de La Plus Précieuse des marchandises que Jean-Claude Grumberg perd Jacqueline son épouse.
Depuis, jour et nuit, il tente de lui dire tout ce qu'il n'a pas pu ou pas osé lui dire. Sans se protéger, ni rejeter ce qu'il ne peut ni ne veut comprendre, il dialogue avec la disparue.
Incrédulité, révolte, colère se succèdent. Dans ses propos en cascades, réels ou imaginaires, qui évoquent la vie de tous les jours, Grumberg refuse de se raisonner, de brider son deuil. Les jeux de mots, l'humour, l'ironie, l'autodérision n'y changent rien.
Dans ce livre, où alternent trivialité et gravité, entre clichés et souvenirs, l'auteur dit la difficulté d'exprimer ce qu'il ressent.
Jean-Claude Grumberg fait son livre « pour et avec » Jacqueline, exaltant l'amour et l'intimité de la vie d'un couple uni pendant soixante ans.
Le moment où l'art a été identifié comme une sphère d'expérience autonome et installé dans les musées et les salles de concert est aussi celui où s'est imposée à lui la nécessité de sortir de lui-même, de devenir autre chose que de l'art.
La musique a prétendu être plus que l'art des musiciens : la langue de l'esprit ou le drame de l'avenir. L'architecture a voulu construire non plus seulement des bâtiments, mais un monde nouveau et cherché pour cela à s'envoler dans les airs. Les artistes révolutionnaires ont décidé de confectionner non plus des tableaux, mais les formes de la vie nouvelle. Et les performances et installations de l'art contemporain se tiennent sur la frontière indécise du dedans et du dehors, de l'art et de la politique.
En suivant quelques-uns de ces voyages, Jacques Rancière montre aussi comment les vieux maîtres, Kant et Hegel, nous aident à en comprendre les détours.
Dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, Laëtitia Perrais a été enlevée à 50 mètres de chez elle, avant d'être poignardée et étranglée. Il a fallu des semaines pour retrouver son corps. Elle avait 18 ans.Ce fait divers s'est transformé en affaire d'État : Nicolas Sarkozy, alors président de la République, a reproché aux juges de ne pas avoir assuré le suivi du « présumé coupable », précipitant 8 000 magistrats dans la rue, en février 2011. Mais Laëtitia Perrais n'est pas un fait divers. Comment peut-on réduire la vie de quelqu'un à sa mort, au crime qui l'a emporté ? Pendant deux ans, Ivan Jablonka a rencontré les proches de la jeune fille, sa soeur jumelle, ses parents, ses amis, les responsables des services sociaux, ainsi que l'ensemble des acteurs de l'enquête, gendarmes, juges d'instruction, procureurs, avocats et journalistes, avant d'assister au procès du meurtrier, en octobre 2015. De cette manière, Ivan Jablonka a pu reconstituer l'histoire de Laëtitia. Il a étudié le fait divers comme un objet d'histoire, et la vie de Laëtitia comme un fait social. Car, dès sa plus jeune enfance, Laëtitia a été maltraitée, accoutumée à vivre dans la peur, et ce parcours de violences éclaire à la fois sa fin tragique et notre société tout entière : un monde où les femmes se font harceler, frapper, violer, tuer.
De livre en livre, Ivan Jablonka ouvre des voies nouvelles. Avec une audace et une créativité peu communes, il invente ses sujets et ses formes. Après Laëtitia, après En camping-car, il explore sa « garçonnité » dans les années 1970-1980, s'interrogeant sur le « nous-garçons » et les frontières incertaines entre masculin et féminin.
De sa famille au service militaire en passant par l'école, il raconte sa formation au fil d'une enquête souvent poignante, parfois drôle - toujours passionnante - où beaucoup pourront se reconnaître. Car cette « autobiographie de genre » dévoile une intimité à la fois individuelle, sociale et politique : l'histoire d'une génération. Avec une honnêteté troublante, Ivan Jablonka analyse le « malaise dans le masculin » qui fut le sien, restituant le vif et l'éclat de l'enfance dans ses enthousiasmes, ses émois et ses peines.
Ce [...] livre est parti d'une idée assez monstrueuse, mais, je pense, assez exaltante.
J'ai choisi, à Paris, douze lieux, des rues, des places, des carrefours, liés à des souvenirs, à des événements ou à des moments importants de mon existence. Chaque mois, je décris deux de ces lieux ; une première fois, sur place (dans un café ou dans la rue même) je décris « ce que je vois » de la manière la plus neutre possible, j'énumère les magasins, quelques détails d'architecture, quelques micro-événements (une voiture de pompiers qui passe, une dame qui attache son chien avant d'entrer dans une charcuterie, un déménagement, des affiches, des gens, etc.) ; une deuxième fois, n'importe où (chez moi, au café, au bureau) je décris le lieu de mémoire, j'évoque les souvenirs qui lui sont liés, les gens que j'y ai connus, etc. Chaque texte [...] est, une fois terminé, enfermé dans une enveloppe que je cachette à la cire. Au bout d'un an, j'aurai décrit chacun de mes lieux deux fois, une fois sur le mode du souvenir, une fois sur place en description réelle. Je recommence ainsi pendant douze ans [...].
J'ai commencé en janvier 1969 ; j'aurai fini en décembre 1980 ! j'ouvrirai alors les 288 enveloppes cachetées [...]. Je n'ai pas une idée très claire du résultat final, mais je pense qu'on y verra tout à la fois le vieillissement des lieux, le vieillissement de mon écriture, le vieillissement de mes souvenirs : le temps retrouvé se confond avec le temps perdu ; le temps s'accroche à ce projet, en constitue la structure et la contrainte ; le livre n'est plus restitution d'un temps passé, mais mesure du temps qui s'écoule ; le temps de l'écriture, qui était jusqu'à présent un temps pour rien, un temps mort, que l'on feignait d'ignorer ou que l'on ne restituait qu'arbitrairement (L'Emploi du temps), qui restait toujours à côté du livre (même chez Proust), deviendra ici l'axe essentiel.
Je n'ai pas encore de titre pour ce projet ; ce pourrait être Loci Soli (ou Soli Loci) ou, plus simplement, Lieux.
Georges Perec.
Extrait de « Lettre à Maurice Nadeau » du 7 juillet 1969, dans Je suis né, Seuil, « La Librairie du XXe siècle », 1990.
Le camping-car nous a emmenés au Portugal, en Grèce, au Maroc, à Tolède, à Venise. Il était pratique, génialement conçu. Il m'a appris à être libre, tout en restant fidèle aux chemins de l'exil. Par la suite, j'ai toujours gardé une tendresse pour les voyages de mon enfance, pour cette vie bringuebalante et émerveillée, sans horaires ni impératifs. La vie en camping-car.
I. J.
Dans ce livre, Ivan Jablonka esquisse une socio-histoire de son enfance, transformant l'autobiographie en récit collectif, portrait d'une époque.
" Je suis parti en historien sur les traces des grands-parents que je n'ai pas eus. Matès et Idesa Jablonka sont autant mes proches que de parfaits étrangers. Leur vie s'achève longtemps avant que la mienne ne commence. Ils ne sont pas célèbres. Ils n'ont rien dit ou fait de mémorable. Ils ont été emportés par les tragédies du XXe siècle : le stalinisme, la Deuxième Guerre mondiale, la destruction du judaïsme européen.Pour écrire ce livre, à la fois oeuvre d'histoire et biographie familiale, j'ai exploré une vingtaine de dépôts d'archives et rencontré de nombreux témoins, en France, en Pologne en Israël, en Argentine, aux États-Unis. J'ai cherché à être non pas objectif - cela ne veut rien dire, car nous sommes rivés au présent, enfermés en nous-mêmes -, mais radicalement honnête. Cette transparence vis-à-vis de soi implique à la fois la mise à distance la plus rigoureuse et l'investissement le plus total. La double nécessité de dire "je" et de fuir le ton emphatique que les circonstances pourraient justifier, le devoir de faire part de mes certitudes comme de mes doutes, de mes intuitions comme de mes renoncements, rendent, je l'espère, mon travail plus solide. "
L'espace de notre vie n'est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? On sent confusément des fissures, des hiatus, des points de friction, on a parfois la vague impression que ça se coince quelque part, ou que ça éclate, ou que ça se cogne. Nous cherchons rarement à en savoir davantage et le plus souvent nous passons d'un endroit à l'autre, d'un espace à l'autre sans songer à mesurer, à prendre en charge, à prendre en compte ces laps d'espace. Le problème n'est pas d'inventer l'espace, encore moins de le ré-inventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd'hui pour penser notre environnement...), mais de l'interroger, ou, plus simplement encore, de le lire ; car ce que nous appelons quotidienneté n'est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d'anesthésie.
C'est à partir de ces constatations élémentaires que s'est développé ce livre, journal d'un usager de l'espace.
Longtemps en Europe le roi des animaux ne fut pas le lion mais l'ours, admiré, vénéré, pensé comme un parent ou un ancêtre de l'homme. Les cultes dont il a fait l'objet plusieurs dizaines de millénaires avant notre ère ont laissé des traces dans l'imaginaire et les mythologies jusqu'au coeur du Moyen Âge chrétien. De bonne heure l'Église chercha à les éradiquer. Prélats et théologiens étaient effrayés par la force brutale du fauve, par la fascination qu'il exerçait sur les rois et les chasseurs et surtout par une croyance, largement répandue, selon laquelle l'ours mâle était sexuellement attiré par les jeunes femmes. Il les enlevait et les violait. De ces unions naissaient des êtres mi-hommes mi-ours, tous guerriers invincibles, fondateurs de dynasties ou ancêtres totémiques. Michel Pastoureau retrace les différents aspects de cette lutte de l'Église contre l'ours pendant près d'un millénaire : massacres de grande ampleur, diabolisation systématique, transformation du fauve redoutable en une bête de cirque, promotion du lion sur le trône animal. Mais l'auteur ne s'arrête pas à la fin du Moyen Âge. Inscrivant l'histoire culturelle de l'ours dans la longue durée, il tente de cerner ce qui, jusqu'à nos jours, a survécu de son ancienne dignité royale. Le livre se termine ainsi par l'étonnante histoire de l'ours en peluche, dernier écho d'une relation passionnelle venue du fond des âges : de même que l'homme du Paléolithique partageait parfois ses peurs et ses cavernes avec l'ours, de même l'enfant du XXIe siècle partage encore ses frayeurs et son lit avec un ourson, son double, son ange gardien, peut-être son premier dieu.
Trois historiens, spécialistes de la Résistance, ont décidé de conjuguer leurs expertises, de croiser leurs regards, de se soumettre à une critique réciproque et exigeante. S'appuyant sur une abondante littérature, les auteurs se sont attachés à dérouler un récit qui prend parfois à rebours, comme dans le cas de la mémoire de la Résistance, les thèses communément admises.
Chacun des dix-sept chapitres du livre s'ouvre sur un document visuel - photo d'identité, reproduction d'une feuille clandestine, cliché d'une scène publique ou privée - qui illustre une facette de cette histoire, saturée de représentations mais si pauvre en illustrations. Ces documents variés font ainsi office de portes d'entrée vers un monde par nature difficile à saisir, celui de la lutte clandestine.
Tout en suivant la trame chronologique de la période, depuis les premières manifestations du refus en 1940 jusqu'aux libérations du territoire à l'été et à l'automne 1944, c'est bien une approche anthropologique du phénomène qui a été privilégiée. Elle conduit à mettre l'accent sur la densité extrême du temps résistant, à scruter ses pratiques et ses sociabilités, à interroger aussi les liens qui se tissent peu à peu avec la société. Elle cherche à comprendre ce que vivre en Résistance pouvait concrètement signifier. Soumis à un danger permanent, sans modèle préalable auquel se référer, l'univers clandestin de la Résistance, enfoui et invisible, n'aura en réalité jamais cessé d'inventer sa propre action. Il a généré des expériences d'une extrême variété tout en exposant l'ensemble de ses protagonistes, où qu'ils aient oeuvré, à des risques identiques et mortels.
Il est difficile de parler de Nohant sans dire quelque chose qui ait rapport à ma vie présente ou passée », écrivait George Sand. C'est par Nohant, par sa maison, que je l'ai rencontrée. À vrai dire, elle ne fut pas un modèle de ma jeunesse. Pour « la bonne dame », je n'éprouvais pas d'attirance. Ses romans, La Petite Fadette, etc., que la grand-mère de Marcel Proust tenait en si haute estime, me paraissaient bons pour les distributions de prix. Je participais à la dépréciation dont Sand a été victime après sa mort. Je la trouvais d'un âge qui n'avait plus grand-chose à dire aux filles de Simone de Beauvoir, dont je me revendiquais.
Ma découverte fut en partie fortuite. La demeure de l'Indre, héritée de sa grand-mère, représente ses racines, mais aussi un refuge contre Paris, qui fit sa renommée et qu'elle n'aimait pas, une « oasis » propice au travail : elle y écrivit l'essentiel de son oeuvre, comme Chopin y composa la majeure partie de la sienne. Nohant, elle en rêvait comme d'un phalanstère d'artistes, une communauté égalitaire, un endroit de création et d'échanges par la musique (Liszt, Chopin, Pauline Viardot), la peinture (Delacroix, Rousseau), l'écriture (Flaubert, Dumas, Fromentin, Renan, Tourgueniev...), le théâtre, la conversation.
Ce lieu, Sand l'a investi. L'art y établit la communion des coeurs et des esprits. C'est aussi une cellule politique, inspirée par le socialisme de Pierre Leroux, noyau républicain support de journaux et ferment subversif des manières de vivre et de penser. Nohant est le creuset d'une utopie, pénétrée par le désir de changer le monde.
Pas plus que personne, Sand n'a réalisé son rêve. Aujourd'hui, il nous reste ce lieu, de pierre et de papier, témoin d'une histoire d'amour aux accents infinis.
Michelle Perrot
La forme brève, dans la nature, est l'éclair : zigzag intense et bref provoqué par une décharge électrique. En prose comme en poésie, bien des formes brèves (maximes, aphorismes, haïkus, proverbes, adages ou autres) aspirent à son éclat. Né d'elles, ce livre zigzague entre elles.
Les procès intentés aux animaux, la mythologie du bois et des arbres, le bestiaire des fables, l'arrivée du jeu d'échecs en Europe, l'histoire et l'archéologie des couleurs, l'origine des armoiries et des drapeaux, l'iconographie de Judas, la légende du roi Arthur et celle d'Ivanhoé : tels sont quelques-uns des sujets traités par Michel Pastoureau dans cette « Histoire symbolique du Moyen Âge occidental ».
L'auteur, qui construit cette histoire depuis trois décennies, nous conduit ainsi sur des terrains documentaires variés : le lexique et les faits de langue, les textes littéraires et didactiques, les armoiries et les noms propres, les images et les oeuvres d'art. Partout, Michel Pastoureau souligne avec force combien cette histoire symbolique des animaux et des végétaux, des couleurs et des images, des signes et des songes, loin de s'opposer à la réalité sociale, économique ou politique, en est une des composantes essentielles.
Pour l'historien, l'imaginaire fait toujours partie de la réalité.
Que me demande-t-on, au juste ? Si je pense avant de classer ? Si je classe avant de penser ? Comment je classe ce que je pense ? Comment je pense quand je veux classer ? [...] Tellement tentant de vouloir distribuer le monde entier selon un code unique; une loi universelle régirait l'ensemble des phénomènes: deux hémisphères, cinq continents, masculin et féminin, animal et végétal, singulier pluriel, droite gauche, quatre saisons, cinq sens, six voyelles, sept jours, douze mois, vingt-six lettres.
Malheureusement ça ne marche pas, ça n'a même jamais commencé à marcher, ça ne marchera jamais.
N'empêche que l'on continuera encore longtemps à catégoriser tel ou tel animal selon qu'il a un nombre impair de doigts ou des cornes creuses.
On le sait depuis Aristote : ce qui distingue la fiction de l'expérience ordinaire, ce n'est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité. Elle dédaigne en effet l'ordinaire des choses qui arrivent les unes après les autres pour montrer comment l'inattendu advient, le bonheur se transforme en malheur et l'ignorance en savoir.
Cette rationalité fictionnelle a subi à l'âge moderne un destin contradictoire. La science sociale a étendu à l'ensemble des rapports humains le modèle d'enchaînement causal qu'elle réservait aux actions d'êtres choisis. La littérature, à l'inverse, l'a remis en cause pour se mettre au rythme du quotidien quelconque et des existences ordinaires et s'installer sur le bord extrême qui sépare ce qu'il y a de ce qui arrive.
Dans les fictions avouées de la littérature comme dans les fictions inavouées de la politique, de la science sociale ou du journalisme, il s'agit toujours de construire les formes perceptibles et pensables d'un monde commun. De Stendhal à João Guimarães Rosa ou de Marx à Sebald, en passant par Balzac, Poe, Maupassant, Proust, Rilke, Conrad, Auerbach, Faulkner et quelques autres, ce livre explore ces constructions au bord du rien et du tout.
En un temps où la médiocre fiction nommée « information » prétend saturer le champ de l'actuel avec ses feuilletons éculés de petits arrivistes à l'assaut du pouvoir sur fond de récits immémoriaux d'atrocités lointaines, une telle recherche peut contribuer à élargir l'horizon des regards et des pensées sur ce qu'on appelle un monde et sur les manières de l'habiter.
Fascinée par une ruelle, née il y a cinq cents ans entre la place Saint-Sulpice et le jardin du Luxembourg, j'ai cherché à découvrir celles et ceux qui y ont vécu de siècle en siècle, de numéro en numéro, d'étage en étage, depuis 1518. La rue Férou est devenue le lieu d'une question existentielle : qu'est-ce qui donne le sentiment d'être chez soi quelque part ? D'habiter tout à la fois son corps, sa maison et le monde ?
Je me suis glissée dans la peau d'un photographe du xixe siècle et d'une comédienne de la Comédie-Française au xviiie, j'ai accompagné Man Ray dans son atelier, Mme de La Fayette dans sa maison d'enfance ou des religieuses dans leur couvent. Comme une psychanalyste prête à tout entendre, à tout écouter, sans choisir ni trier, j'ai ouvert ma porte aux voix du passé.
Sous la rue Férou, j'ai découvert ma rue Férou, hantée par le cortège de celles et ceux qui n'ont pas d'autres traces pour dire leur passage sur cette terre que des listes de noms.
Singulière ruelle qui s'absente à ses deux bouts. Ses pierres recèlent des trésors d'histoires, de légendes, de questions sans réponses et de réponses sans questions.
Une rue, dix maisons, cent romans.
Paris Fantasme.
Dans un train, un homme et un enfant traversent l'Europe. Le train les mène d'un siècle à l'autre. Le XXe siècle derrière, le XXIe siècle devant. Dehors, défilent plaines, forêts, champs, villes et rivières qui bientôt auront changé de nom. L'homme et l'enfant ne parlent pas la même langue. Quelle histoire les relie ? Le long des rails : des valises ouvertes, des habits éparpillés. Ce n'est pourtant ni la guerre ni l'exil qui sont la cause d'un tel émiettement. Entre les rangées du wagon, s'avance le Semeur : celui qui a la charge de délivrer les passagers de leurs vies passées. Il balance ce qu'il trouve : sacs, habits, petits souvenirs emportés à l'heure du départ. Le tout achève sa course, sur les pierres, le long des ballasts, dans la poussière.
Oublier, trahir, puis disparaître est un conte du XXIe siècle, où le lecteur découvre petit à petit le sens du voyage : une traversée où un homme d'âge mûr cherche à transmettre, plutôt qu'une mémoire, l'énergie de l'oubli et des métamorphoses.
Marc Augé raconte ses souvenirs, ou plutôt les monte à l'instar des rushs de cinéma. Et comme il le dit d'emblée au début de son livre, « ce texte n'est pas une autobiographie, plutôt le « montage » de quelques souvenirs. J'aurais pu choisir d'autres souvenirs - ou un autre montage. » Casablanca : un film, un mythe et tout film qui nous a plu un jour prend place dans notre mémoire à côté d'autres souvenirs, soumis comme eux à la menace de l'oubli : les images peinent à composer un récit, certaines sont brouillées, incertaines. On cherche alors à les préciser en faisant parler parents, grands-parents... Pour Marc Augé, la chasse aux souvenirs se passe avec sa mère qu'il essaye de faire parler pour repartir ainsi à la conquête de ses plus anciens souvenirs, rêvant - comme dans les films anciens où ceux que nous voyons sont bien souvent disparus - d'un impossible recommencement. En retournant ainsi à Casablanca, Marc Augé tente de construire son histoire, de lui donner sens tout en décidant de son déroulement et en contrôlant le montage afin de vivre et de revivre les scènes encore, et encore.
Le baptême.
Je te baptise Babel entre toutes les femmes.
Babel entre toutes les villes.
Babel de la diversité.
Ambiguë comme les sexes.
Nostalgique du paradis perdu.
- utérus maternel -.
Centre du monde.
Cordon ombilical.
« Poète - crie Babel.
Je suis l'aveugle des langues.
La Cassandre dans la nuit obscure des signifiants ».
Cristina Peri Rossi.
Ce livre aux sentiers qui bifurquent part de son titre.
Pourquoi la plupart des peintres ont-ils prêté un cheval à Saül, futur apôtre Paul, qui allait à Damas ?
La réponse s'en va rejoindre d'autres questions que posent à l'auteur tant les histoires vraies que les fables du « merveilleux » chrétien. Si elle les conte et raconte en les confondant avec allégresse, c'est sans doute grâce à l'esprit d'enfance cher à Bernanos.