En septembre 1878, déportés au sud loin de leurs terres des Grandes Plaines, les Cheyennes croupissent et se meurent, incarcérés à ciel ouvert, dans cette partie hostile du Territoire Indien, futur État de l'Oklahoma. Les promesses non tenues du gouvernement les laissent souffrir des affres de la faim, les rations promises ne viennent pas ou alors au compte-gouttes. Pour survivre ils n'ont plus le choix : à leurs risques et périls, sous le commandement de leurs chefs Dull Knife et Little Wolf, ils décident de regagner à pied leur pays au Montana. Commence alors un des plus terribles exode de l'Histoire : affamés, dépenaillés ils marcheront, durant les quatre mois du terrible hiver 1878-1879, pour retrouver leur Terre. Pourchassés par l'armée, et laissant de nombreux morts, les Cheyennes, une fois arrivés connaîtront l'emprisonnement dans des baraquements où ils endureront - femmes, enfants et vieillards compris... - sévices physiques comme psychologiques, humiliations et tortures.
En 1964, John Ford a fait de cette tragédie humaine un western testamentaire qui a rendu justice au peuple cheyenne en en faisant un classique qui reste dans toutes les mémoires.
La densité du roman de Mari Sandoz, la subtilité et la précision des descriptions, l'atmosphère et l'esthétique « très indienne » qui s'en dégagent, font que l'ouvrage dépasse de loin une simple histoire de western : c'est tout simplement un chef-d'oeuvre de la littérature américaine.
Le Diné Bahané est la version la plus complète, la plus authentique du mythe de Création navajo. Depuis les travaux de Washington Matthews de 1897, elle offre l'accès à la Puissance, à la Beauté de cette narration orale, à toute sa poésie idiomatique appropriée au langage d'une période mythologique lointaine. Dans l'histoire des mythes de Création, le Diné Bahané est considéré comme une des oeuvres « littéraires » les plus importantes du monde. Il décrit, étapes par étapes sur plusieurs siècles « mythologiques », les Cycles du Mythe de l'Émergence qui mènent l'Insecte, le Spermophile et d'autres espèces du « règne animal », du Premier au Cinquième Monde, à l'Être humain et à la formation des Clans qui structurent toujours la société navajo d'aujourd'hui.
Le récit de la scène mythologique progressant, ses instigateurs acquièrent, d'un Monde à l'autre, sagesse, discernement, habileté. Le mythe charrie une foule de « Personnages-Entités » dont l'invétéré farceur jeteur de troubles graves Ma'ii le Coyote ; le plus féroce des Naayéé' le « Chef des Monstres » Yé'iitsoh ou le Géant. Les « Protecteurs » tels Nílch'i le Vent et Shash l'Ours ; Áltsé hastiin Premier Homme et Altsé asdza´a Première Femme ; les « Divinités » Asdzaa nádleehé ou Femme-Changeante et Yoolgai asdzaa Femme-Coquille-Blanche ; Jóhonaa'éí le Soleil et ses Fils les Jumeaux Tó bájísh chíní Le-Né-De-L'Eau et son Frère Naayéé neizghání Le-Tueur-De-Monstres dans la langue de Bilagáana l'Homme Blanc.
Pour le Diné, les Navajos, cette histoire du mythe de Création est à la base de leur identité spirituelle profonde, de leur relation avec les Éléments, la Terre, le Cosmos, de ce qu'ils considèrent comme Sacré, de ce qui recouvre l'Harmonie, la Paix, l'Équilibre, la Beauté : bik'eh hozhoon. Ainsi qu'il est dit.
« La trilogie des Sioux de Hyde représente une référence dans l'histoire des Indiens d'Amérique du Nord. Son travail était révolutionnaire et innovant, à la fois dans la méthode et dans les détails à tel point que ses livres ont servi de modèles aux historiens qui lui ont succédé. ».
Raymond J. DeMallie.
L'avènement de cette trilogie sur les Sioux, rédigée de 1937 à 1961, demeure une étape unique quant à l'utilisation de sources écrites allant du XVe au XIXe siècle auxquelles s'ajoutent des témoignages directs par ceux ayant vécu les dernières décennies de la fin d'un monde. Des premières migrations dès 1650 aux années 1890, l'ouvrage reconstitue méticuleusement l'histoire des Sioux tetons-lakotas : fratricide guerres intertribales, affrontements contre l'armée américaine, conflits avec les marchands de la Frontière et les agents de réserve. Quant aux chefs, Hyde démontre que la dynamique de cette histoire a pour beaucoup procédé du succès ou de l'échec de ces derniers à comprendre la futilité de résister aux Américains. En ce sens il établit les différences entre le duo Sitting Bull-Crazy Horse et le duo Red Cloud-Spotted Tail, celui-ci ayant eu la patience, la diplomatie d'effectuer l'inévitable transition du passage des siècles de liberté à l'enferment dans les réserves.
Cette biographie du chef sioux Crazy Horse est l'exemple même de la fusion entre l'art de la biographie et l'oeuvre littéraire. Né au sein des Oglalas, une des sept bandes des Sioux tetons-lakotas Crazy Horse, comme pour rappeler ses cheveux aux boucles un peu claires, portait tout jeune le nom de Curly. Perçu aux yeux des siens comme énigmatique, solitaire, le jeune chef exerçait auprès du « peuple profond » des Lakotas un prestige mystérieux. Il consacra sa vie à combattre un envahisseur dont la supériorité militaire et les épidémies qu'il apportait ont attiré sur les Indiens les pires malheurs et calamités. Sandoz, outre qu'elle s'attache à décrire « son homme étrange » dans l'émotion comme dans l'affliction, rapporte dans le souffle de sa passion, les événements historiques et personnels qui ont accablé la vie de « son héros ». Après une courte existence où se sont croisées joies simples, déconvenues, trahisons, défaites mais aussi victoires comme à Little Big Horn face au général Custer en juin 1876, Crazy Horse sera contraint, surtout par les siens, de se rendre. Le 5 septembre 1877, après avoir présenté sa reddition, il sera lâchement assassiné à Fort Robinson par un soldat... grâce à l'aide d'un de ses « frères Lakotas ».
L'invasion arabo-musulmane de l'Espagne wisigothique, initiée en 711 pour culminer en 719 avec la conquête de la Gaule narbonnaise, a été l'événement aux conséquences les plus considérables de l'histoire d'Espagne.
On oublie souvent que, pendant des siècles, la majeure partie de la population fidèle à la religion chrétienne et la minorité juive ont été soumises à un régime de très forte discrimination. Celui-ci reposait sur la ségrégation sociale, l'absence de liberté religieuse, l'exploitation économique et fiscale, l'immersion culturelle et, en cas de protestation ou de révolte, sur la plus sévère répression. La dureté de ce régime s'est accentuée au fil du temps et a fini par provoquer, dès le XIIe siècle, la complète disparition des communautés chrétiennes et juives d'al-Andalus.
Ce livre offre une vision complète de la situation de ces chrétiens espagnols, appelés mozarabes, unique peuple européen médiéval à avoir vécu pendant tant de générations sous la rigueur de la dhimma. Attachés au mythe des Trois Cultures, de nombreux auteurs ont préféré jusqu'ici ne retenir que les aspects prétendument aimables de cette situation, comme la liberté de culte limitée et la relative autonomie interne des communautés chrétiennes, afin de tenter de délégitimer le processus de Reconquête, véritable matrice de la nation espagnole. Il permet, à l'inverse, de mieux faire connaître la réalité de la vie des chrétiens d'al-Andalus, loin des rêves et falsifications intéressées qui alimentent le mythe de la convivialité pacifique entre cultures et religions construit en marge de la vérité de l'histoire.
À l'instar de la rencontre en 1930 entre Black Elk, homme-médecine lakota, et John G. Neihardt, de laquelle résultat le célèbre Élan Noir parle (Black Elk Speaks), la rencontre dans les années 1970 entre Thomas E. Mails et Frank Fools Crow, chef cérémoniel lakota, procède du même « hasard » de Grand Rendez-Vous spirituel. Né en décembre 1890, année et mois du massacre de Wounded Knee, dans la réserve des Sioux oglalas de Pine Ridge, ce neveu de Nicholas Black Elk est le dernier descendant d'une grande lignée de Saints-Hommes. Outre son parcours personnel, il nous relate un monde et un mode de vie entrelacés à des valeurs morales et spirituelles consubstantielles de l'identité lakota. Au début de sa vie, Fools Crow dut vivre caché, presque exilé sur sa propre terre, pour échapper à l'école des Blancs. Longtemps il pratiqua des rites secrets interdits par le Bureau des Affaires indiennes, particulièrement la danse du Soleil. Toute sa vie au service des siens, Fools Crow a conduit aussi d'autres cérémonies des plus importantes dont celle du Yuwipi, de la Pipe Sacrée, du Hunka, de la quête de la Vision. Tenant à la fois du passé comme du présent, les propos de l'homme-médecine, à leur façon, répondent aux questions que se pose aujourd'hui un vaste public quant au devenir des Indiens d'Amérique du Nord, en l'occurrence sur l'héritage spirituel les Sioux lakotas. En cela la préface de Didier Dupont répond en partie, aujourd'hui, à certains aspects de ce questionnement.
De sa prime jeunesse à presque l'avant-dernière année de sa vie mouvementée, en 1959, ce cousin de Geronimo que fut le centenaire apache chiricahua Jason Betzinez nous relate, du côté indien, ses dernières années de liberté puis de captivité en tant que prisonnier de guerre. Sur un ton allant de la chronique au récit - et parfois même relevant de la confidence familiale et ethnographique - nous suivons Betzinez dans les ultimes combats de Geronimo contre les Mexicains et les Américains, jusqu'aux successives assignations à la réserve de San Carlos et de leurs non moins successives et rocambolesques évasions qui, juste après la reddition de Geronimo en 1886, mèneront tout droit les Chiricahuas dans le train de la déportation en Floride.
Betzinez se souvient des grands chefs : l'ombre céleste de Cochise, la puissance guerrière de Victorio ; il se remémore dans le détail les courses dans le désert et les montagnes, les performances de Geronimo, tout comme les coups de folie et de férocité de ce dernier. Enfin, de ces années de captivité jusqu'en 1914, puis de son existence jusqu'à l'âge de 99 ans, il nous conte ce que fut la vie des Chiricahuas, et la sienne comme Apache « intégré » à l'Amérique et lucide sur les temps nouveaux qui faisaient table rase de son passé, des Apaches.
S'il y a une approche primordiale sacralisée de la mythologie du Diné, les Navajos, c'est bien celle qui procède des rituels de guérison. Au-delà des symptômes et des soins apportés au corps physique, ces rituels cherchent toujours à replacer la psyché de l'individu en harmonie avec l'ensemble des forces naturelles et surnaturelles qui l'entourent. Le livre expose les processus symboliques de guérison développés par les rites ancestraux qui mettent en application des principes redécouverts par la psychanalyse jungienne. Le principal support physique, comme artistique, de ces processus se traduit par la réalisation de peintures de sable créées uniquement dans un contexte rituel et religieux. Elles représentent les formes symboliques issues du mythe du Diné de la Création. L'auteur, psychanalyste jungien, évalue et compare son savoir à la tradition navajo ; en cela, il s'est souvent entretenu avec plusieurs hommes-médecine. Nous découvrons ainsi la Voie de la Beauté, de la Bénédiction, du Grand Dieu, du Vent, de l'Ennemi, du Projectile, de la Grande Étoile mais aussi le Chant de la Nuit comme celui de la Voie Malfaisante, le Chemin du Pollen, les fumigations sacrées à base d'armoise. Ultimement, nous pouvons aussi considérer ces rituels ancestraux de guérison comme une forme de réflexion sur notre héritage et nos anciennes médecines holistiques.
Katyn ! Une clairière dans une forêt de Biélorussie.
Une fosse gigantesque. Au fond, en couches superposées, 4100 cadavres d'officiers polonais assassinés d'une balle dans la nuque. Découvert en 1943, ce massacre a pendant des décennies été attribué aux nazis. Mais, avec la chute de l'URSS, les archives ex-soviétiques ont révélé, sans discussion possible, que le 5 mars 1940, c'est Staline et tout le Politburo qui avait ordonné la mort de 25700 personnalités polonaises, dont les officiers prisonniers de guerre.
Cet ordre, immédiatement exécuté dans le bois de Katyn, participait du génocide de classe mis en oeuvre par Staline contre les élites d'une Pologne dont il venait de se partager la dépouille avec Hitler. Puis ce fut pendant cinquante ans la lutte acharnée du régime soviétique pour camoufler sa responsabilité dans ce crime de masse et fuir sa culpabilité. Victor Zaslavsky expose ici les pièces inédites de ce terrible dossier où crime et mensonge communistes se mêlent étroitement.
Ces dialogues avec le grand écrivain kiowa N. Scott Momaday sont des conversations à bâtons rompus, jubilatoires et emportées, riches et joyeuses, sérieuses, jamais graves et par lesquelles nous côtoyons avec une étrange facilité la littérature, l'esthétique, la spiritualité, le langage liés à l'univers des Indiens d'Amérique du Nord. Nous y accédons par ces échanges avec un géant de la littérature, autant indienne qu'américaine, dont la voix profonde résonne à notre entendement et nous met en contact direct avec son oeuvre.
Par sa nature, le livre donne à apprécier la chance d'avoir l'opportunité d'entrer dans l'art de la Conversation, la puissance évocatrice que cela peut revêtir. Momaday révèle ici à quel point, et comment, il a été profondément influencé par ses racines kiowas. Dans son travail incessant de création, tant comme écrivain que comme peintre, Momaday, comme l'écrit Woodard, étonne par la « diversité et l'ampleur de son expression artistique ». Voix ancestrale nous emmène aux sources de sa création, au coeur de son univers. De ces échanges viennent à nous les voix calfeutrées dans les livres, dans les replis de l'esprit et les ressacs de l'Histoire. En exprimant la quintessence de son monde mythologique, en nous faisant part de certains aspects de son histoire personnelle liée à celle des Indiens d'Amérique du Nord, Momaday replace l'individu au centre du processus de création artistique, de son identité propre, dans son environnement originel et de son émotion unique.
" Cette oeuvre superbe, qui propose à la fois une fertile théorie de l'histoire et une inattaquable doctrine politique...
Se penche aussi sur l'humanité stupide et fruste parmi laquelle nous nous démenons la plupart du temps. Si insolite et ambitieux que nous apparaisse cet ouvrage, il concerne également nos petites affaires de tous les jours. Que les lecteurs y soient attentifs, et ils en retireront le plus grand profit spirituel. " Alvaro Mutis. La liberté est un rêve d'esclaves. L'homme libre sait qu'il a besoin de soutien, d'aide, de protection.
/ Les philosophes actuels sont cernés par plus de tabous que le sorcier primitif. / Lorsque la rouerie commerciale des uns exploite la crédulité culturelle des autres, on parle de diffusion de la culture. / La pensée réactionnaire fait irruption dans l'histoire comme le cri d'alarme de la liberté concrète, comme un spasme d'angoisse devant le despotisme illimité auquel atteint celui qui s'enivre de liberté abstraite.
/ Les communications plus faciles ne vivifient pas les régions écartées, elles leur sucent la moelle. / Sans instruction primaire il est impossible d'abrutir définitivement un peuple. / La vie intellectuelle d'une grande ville moderne est une combinaison de provincialisme de quartier et de cosmopolitisme d'hôtel.
Par une belle journée d'août 1945, un homme grand, élégamment vêtu, la trentaine, marche dans Budapest.
Ce fils d'une famille très connue pour sa participation à la révolte de Kossuth en 1848, est secrétaire général de la Croix-Rouge hongroise. Il se rend, l'esprit tranquille, à l'invitation de l'ambassadeur soviétique. Reçu dans une villa cossue par un major fort sympathique, il comprend soudain qu'il s'est jeté de lui-même dans la gueule du loup. Séquestré, arrêté, emprisonné, interrogé, il est condamné à mort.
À l'isolement total pendant seize mois, au bord de la folie, il est soudain transféré à l'hôpital-prison de Lvov, en Ukraine. Finalement condamné à cinq ans de Goulag, il est expédié début 1948 en Sibérie, au complexe concentrationnaire du Kouzbass, en pleine taïga. Zek pendant cinq années, puis en relégation, il réussit par miracle à rentrer en Hongrie en 1960. Ne supportant plus le monde communiste, son mensonge permanent, son inhumanité quotidienne, il s'évade de Hongrie en 1965 et s'installe à Munich où il se consacre à la rédaction et à la publication - à compte d'auteur et en hongrois - de ses mémoires.
II y mourra en 1982, oublié de tous. C'est le récit de cette formidable odyssée que nous publions aujourd'hui. Récit très souvent tragique de ces masses d'hommes broyés par la mécanique répressive totalitaire. Broyés par le désespoir de la perspective de 25 ans de camp, par l'arrachement à leur famille, à leur village, à leurs études. Broyés, l'hiver, par la chute d'un sapin géant à la coupe dans la taïga ou, lors du flottage de printemps, par le déferlement hurlant des billes de bois.
Et pourtant, du fond de cet enfer, Aron Gabor - c'est le nom de ce témoin exceptionnel - préserve la petite flamme de l'espoir, cultive avec passion et reconnaissance chaque signe d'humanité. II tombe amoureux de cette Sibérie où la nature est si puissante et où les hommes, en dépit du communisme, ont conservé une authenticité millénaire. Après L'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljénitsyne, les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov et Un monde à part de Gustav Herling, Le Cri de la taïga est le dernier très grand témoignage littéraire d'un Européen sur le Goulag.
Un témoignage " oublié " pendant près de quarante ans et aujourd'hui restitué au monde.
« La mémoire perdue examine comment et pourquoi nous en sommes venus à présumer qu'il nous faut vivre en nous passant de la plupart des récits - de récits complexes et riches, étranges et contradictoires, fondamentaux et difficiles, douloureux autant qu'instructifs, agréables autant que tristes. C'est un ouvrage qui s'interroge sur ce qui (comme Freud l'a bien montré) nous fait préférer voir l'histoire comme un trauma que la voir comme une richesse. Il analyse pourquoi la littérature, l'art et la musique du passé ne sont presque plus accessibles aux jeunes gens autrement que sous la forme de sujets d'épreuves scolaires ou universitaires, et, au-delà, n'ont guère d'utilité plus poussée, ni ne sont source de plaisir, de questionnements fructueux ou de sens. Il explore pour quelles raisons réfléchir sérieusement aux réalisations du passé est devenu l'apanage de quelques-uns, à l'égard de qui la modernité est en général soupçonneuse. Cette perte d'histoire se mesure en Occident à l'aune de la dégradation du goût (bien que, je le reconnais, on déplore une telle dégradation depuis que la notion même de goût existe) et de la compréhension des réalisations esthétiques et intellectuelles. Mais elle se mesure aussi à travers les multiples formes du déracinement moderne : solitude, exil, mal-être, absence symbolique et parfois littérale d'un foyer. Confrontés à l'oubli des idées et des êtres, et poussés seulement à s'efforcer d'atteindre des succès à venir qu'on présente comme s'ils étaient planifiés, les Occidentaux d'aujourd'hui habitent le séjour trépidant des égarés qui ne font qu'imaginer savoir vers quoi ils vont. »
Dans ce livre, Emilio Gentile étudie de manière systématique, en s'appuyant sur une documentation impressionnante, la dualité non résolue qui marqua toute la trajectoire de l'expérience fasciste italienne : les rapports conflictuels entre le Parti national fasciste (PNF), dépositaire de l'esprit de la Révolution des Chemises , et l'État, resté dans une certaine mesure celui de la précédente monarchie constitutionnelle. Une première partie permet de constater que la nature totalitaire du parti milice dirigé par Mussolini ne faisait guère de doute pour ceux qui l'étudiaient à l'époque. Ensuite, en analysant attentivement la politique et la stratégie d'expansion de chacun des secrétaires généraux du PNF, l'auteur démontre que, malgré toutes sortes de résistances rencontrées dans l'Église et la monarchie, dans la population et au sein même du régime, le parti milice et ses organisations tentaculaires poursuivirent avec ténacité le maillage de toute la société civile, la totalitarisation à grande échelle de la nation. Pour Gentile, il ne sert à rien de parler, à propos du fascisme, d'un totalitarisme imparfait ou inachevé par rapport aux totalitarismes nazi et communiste, puisque tout totalitarisme est par définition un processus continu fondé sur le principe de la révolution permanente . Dans une postface inédite, expressément écrite pour cette édition française, l'auteur répond aux objections faites à son interprétation du fascisme comme voie italienne au totalitarisme et réaffirme sa conviction, qui ne manquera pas de susciter débats et polémiques : le fascisme ne peut pas être exonéré de la responsabilité d'avoir mis en oeuvre la première expérience totalitaire en Europe occidentale.
Il s'agit d'un petit livre d'entretiens entre Ernst Nolte et le jeune philosophe Siegfried Gerlich, publié il y a deux ans en Allemagne, qui permet à Nolte de revenir longuement sur l'ensemble de son itinéraire intellectuel. Il revient d'abord sur son double intérêt fondamental : la philosophie allemande - rappelons que Nolte est philosophe de formation -, puis sur ce qu'il considère comme son principal apport historique : le développement de l'histoire des idéologies et des mouvements idéologiques, par différence avec l'histoire politique, militaire, sociale, et même par rapport à l'histoire des idées qu'il distingue nettement de l'idéologie. Il souligne sa « haine amoureuse pour les idéologies [...] et envers ce que l'idéologie manifeste de volonté de faire triompher à tout prix la conception qui est la sienne, quitte à renoncer à la recherche de ce qu'on appelle l'objectivité scientifique » - Nolte rappelle qu'il a suivi un cursus secondaire scientifique, avant de s'intéresser à la philosophie puis à l'histoire.
Repartant de son grand oeuvre originel, Le fascisme dans son époque, Nolte revient en détail sur la querelle des historiens qui, en 1986-1987, a animé le champ de l'histoire contemporaine en Europe et l'a opposé en particulier à Jurgen Habermas. Il rappelle à cette occasion le climat d'extrême violence dont il fut victime alors, allant jusqu'aux agressions physiques.
Nolte aborde ensuite cinq de ses thèmes d'intérêt majeurs :
- La révolution bolchévique et son influence sur l'ensemble du 20e siècle et sa relation dialectique avec l'émergence du nazisme.
- Marx et le nazisme, où il revient sur son grand livre non traduit en français Marx et la révolution industrielle, et où il s'interroge sur l'influence de Marx dans l'émergence des exterminations de masse au 20e siècle.
- Nietzsche, sur lequel il a publié un livre important traduit en français, chez qui il souligne la passion exterminatrice.
- Heidegger, dont il fut l'étudiant après guerre.
- L'évolution de la Droite en Allemagne depuis 1945 jusqu'à aujourd'hui.
Au total, un livre de philosophie historique très clair, mais aussi un livre très personnel et donc très vivant.
"Le premier souci de celui qui se prétend guerrier est d'avoir toujours la mort présente à l'esprit, chaque jour et chaque nuit, du matin du premier jour de l'année jusqu'à la nuit du Nouvel An." Ainsi s'ouvre le Code d'honneur du samouraï, oeuvre de Taïra Shigésuké, érudit confucéen et expert militaire japonais de la seconde moitié du XVIIe siècle. Il ne s'agit pas d'un manuel de stratégie militaire ou de maniement du sabre, mais d'un guide destiné aux novices, définissant les règles de vie, de conduite et d'honneur auxquelles doit se plier tout jeune samouraï. L'honneur, la mort, le sacrifice de soi, le dévouement au maître et la piété filiale sont les leitmotiv de ce code moral, écrit lors d'une période de paix relative pour prévenir le relâchement du comportement des guerriers désoeuvrés.
Cette morale rigoureuse ne fut d'ailleurs pas l'apanage des seuls samouraïs, mais déborda largement les classes sociales et les siècles pour imprégner toute la société civile jusqu'à nos jours. Sans évoquer le geste de Mishima s'ouvrant le ventre en 1970 dans une ultime réaction contre un monde qui perdait ses valeurs fondamentales, on pensera aux victimes anonymes du karôshi, ces "morts à la tâche" des entreprises japonaises, avatars contemporains et sans panache des samouraïs, et témoignages malgré eux de la persistance de ces valeurs dans la société japonaise actuelle. Le Code d'honneur du samouraï permet de mieux comprendre l'esprit du Japon.
Danseuse qui révolutionna l'art de la danse en Amérique et dans le monde, icône immortelle du monde artistique du XXe siècle, Isadora Duncan (1877-1927) était avant tout une aventurière et une révolutionnaire dans l'âme.
Dans Isadora danse la révolution, qui s'ouvre sur des souvenirs d'enfance à San Francisco, la grande danseuse expose avec la plus grande liberté ses vues sur l'Amérique, la Russie révolutionnaire, l'éducation et les arts ; elle nous parle de sa vie avec le poète russe Sergueï Essenine, de l'amour, de l'émancipation de la femme, et de la danse en tant que force radicale capable de transformer le monde et de changer la vie.
" Je ne veux pas entendre parler d'argent en échange de mon travail.
Ce que je veux c'est un atelier, une maison pour moi et mes élèves, une nourriture simple, des tuniques toutes simples, des conditions qui nous permettent de donner le meilleur de nous-mêmes. L'art commercial et bourgeois me dégoûte. Quelle tristesse de n'avoir jamais pu offrir mon travail à ceux pour qui il était créé ! Au lieu de cela, j'ai été obligée de vendre mon art à cinq dollars la place. Je suis dégoûtée du théâtre moderne qui ressemble davantage à un lieu de prostitution qu'à un temple de l'art : les artistes, qui devraient y occuper la place de grands prêtres, sont réduits à des manèges de boutiquiers pour vendre leurs larmes et leur âme à tant la soirée.
Je veux danser pour les masses, pour les travailleurs qui ont besoin de mon art et n'ont jamais eu assez d'argent pour venir me voir. Je veux danser pour eux gratis, en sachant que ce n'est pas une publicité ingénieuse qui les a amenés là, mais parce qu'ils viennent chercher d'eux-mêmes ce que je peux leur donner. "
Au cours des deux derniers siècles, toutes les doctrines militaires et stratégiques ont été dominées par l'hypothèse clausewitzienne, faisant du conflit armé la " poursuite de la politique par d'autres moyens ". Après la Seconde Guerre mondiale, on voit émerger de nouvelles formes d'affrontement et des combattants d'un type nouveau : guérilleros, terroristes ou hors la loi. Les objectifs ont changé, les armements aussi, qui vont des modèles les plus rudimentaires aux plus sophistiqués. Si tout cela témoigne bien de la disparition des formes " classiques " de la guerre conventionnelle, les responsables civils et militaires des pays développés n'en persistent pas moins à considérer la violence organisée à l'image d'un conflit entre les superpuissances. Pourtant, les nouveaux types de conflits qu'évoque l'auteur engagent des factions tribales, ethniques et religieuses démunies d'armements sophistiqués ou de soutiens fournis par des armées régulières. Les distinctions habituellement admises entre civils et soldats, action terroriste et guerre tombent, ce qui stigmatise l'inadaptation de nos plus anciennes conceptions aux réalités nouvelles - les acteurs et les causes de la guerre, la relation du " faible au fort ". Audacieuses et provocatrices, les analyses de MVC abordent la question de la fatalité de la guerre considérée comme un " jeu ".
Pour le lieutenant-colonel Anthony Shaffer, AI Qaida, Afghanistan, talibans sont une réalité de tous les jours. Spécialiste du renseignement, représentant le " côté obscur de la Force " en se mettant parfois hors de toute légalité, il peut mieux que quiconque rendre concret ce qui ne relève que des unes de journaux. II montre aussi comment les opérations militaires les mieux conduites, qui devraient logiquement déboucher sur une victoire contre les talibans et l'arrestation du pirate de l'air Mohammed Atta, peuvent être contrecarrées par l'incompétence bureaucratique aux plus hauts niveaux. Dans ce récit, souvent considéré à tort comme une oeuvre fictionnelle, le lieutenant-colonel Tony Shaffer expose le bon et surtout le mauvais penchant des opérations militaires américaines - des détails que le gouvernement souhaiterait cacher.
"toujours et partout, combattre ces trois assassins: l'ignorance, le fanatisme et la tyrannie.
" les textes réunis dans ce volume: défense de la franc -maçonnerie, l'opinion publique, dialogues sur la tyrannie sont la réponse d'un esprit éminemment libre aux hypocrisies et aux bigoteries de l'ordre social. digressions "politiques" (même si le poète nous met en garde: " ... elles ne sauraient être mises en pratique - car rien ne se met en pratique, la pratique se crée d'elle-même"), ces réflexions poussées parfois jusqu'au paradoxe le plus extrême distillent à travers leur franchise éclatante une saine antidote aux mystifications de tout ordre et de toute idéologie.
Ces conversations avec des journalistes et écrivains de tous horizons (dont Derek Walcott, prix Nobel de littérature 1992) couvrent quatre décennies de la vie de Naipaul (1960-2001).
On retrouvera dans ce livre le courage et la lucidité inégalés qui ont bâti la légende du grand écrivain anglais, reconnu depuis longtemps comme " la grande conscience morale du monde occidental ". " Je me suis souvent demandé pourquoi les livres qui traitaient de la discrimination raciale avaient un tel succès auprès du public. Je crois que c'est parce qu'ils donnent un plaisir sadique à leurs lecteurs, qu'ils les confortent dans un sentiment de supériorité.
Les journaux qui publient à l'infini des histoires d'oppression et d'humiliation écrites par les opprimés et par les humiliés n'ont aucune envie de perdre leurs lecteurs en essayant de leur remonter le moral : ils les respectent trop pour ça. Les directives politiques sont aujourd'hui imposées aux, sphères les plus hautes de la société depuis les sphères les plus basses. Ainsi que les modes. Et le type de loisirs.
Je vois toutes ces choses comme m'étant très hostiles, à moi et à ce que je tente de faire. J'en suis très affligé. Il y a ce mot " pop ". Le pop art, le pop ceci et le pop cela. Un euphémisme apaisant. Et maintenant ils ont aussi la pop politique. Je ne vote pas, je ne participe à aucune manifestation, je ne signe aucune pétition - voilà mon credo. Pour être engagé dans une cause politique, il faut que cette cause soit absolument pure.
Or le plus souvent, l'engagement à une cause est déjà le début de la corruption. Si un homme écrit, c'est pour exprimer la totalité de sa réaction au monde. Je n'aimerais pas me mettre à écrire pour de l'argent. Si cela se pouvait, j'aimerais me contenter de garder le silence ; beaucoup d'écrivains, après un grand succès, ont gardé le silence. Ils ont échappé à la panique. L'écriture est devenue une affaire beaucoup plus concrète : communiquer des idées; l'ambition de l'écrivain a évolué vers un simple désir d'aider, - de servir "