Si, dans le monde juridique, l'épistémologie s'oriente vers le rôle ingrat d'un a priori prêt à se transmuter idéologiquement en méthodologie juridique, en théorie de l'interprétation, ou simplement en «modèle théorique» préétabli, nous avons un réel problème épistémologique. En conséquence, l'objectif de notre livre se résume à réfléchir sur ce problème et à le faire sous l'auspice d'une interrogation qui est elle-même de l'ordre de l'épistémologie juridique. Il faut impérativement critiquer et évincer, autant que possible, le recours idéologique à un «déjà-droit», un droit déjà là d'une façon ou d'une autre, et qui peut agir (sans aucun acte délibératif de création) en tant que «justification, fondation et idéologie» dans le domaine du droit, ou pire, en tant que «Idéo-droit» propre à ses investigateurs membres d'une secte doctrinale.
Les trois essais que nous publions ici sous le titre «Épistémologie juridique et déjà-droit » cherchent à reprendre le terrain. Ils présentent une critique en règle de toute fondation (et fondationnalisme), toute justification (et procédé justificatif) et de toute tentative de faire de la théorie un paradigme pour «l'Idéo-droit». Il s'agit évidemment d'essais critiques dans le sens de résistance aux «chants des sirènes» qui, pareil au péril d'Ulysse (de l'Odyssée d'Homère), peuvent bien être envoûtants et beaux, mais qui provoqueront notre naufrage intellectuel et moral si nous ne nous tenons pas debout.
Il ne faut jamais céder à la tentation de croire à l'existence d'un «déjà-droit», d'un droit déjà ici et là, et magiquement présent dans un monde objectif et prêt à être cueilli par notre théorie. Il n'y a aucune raison de céder à l'irrationnel; il nous faut plutôt résister, protester et hurler épistémologiquement contre l'irrationalité d'un «déjà-droit».