On connaît Giono pour son évocation romanesque d'un monde paysan plus ou moins mythique, si ce n'est idyllique. Mais il fut aussi un penseur engagé : contre la guerre et l'industrialisation de la guerre, contre l'embrigadement des masses dans une société de production forcenée et de consommation morbide. À la veille du deuxième conflit mondial, il rêva d'entraîner le monde paysan dans ce qu'il pensait être « la plus importante révolution de tous les temps », qui permettrait à l'homme, en retrouvant, au contact de la terre, le sens de sa vraie mesure, de « vivre dans l'abondance et dans la joie ». Bernard Charbonneau, précurseur direct de la décroissance, avait salué en lui, dès 1937, « un indépendant qui défendait une conception révolutionnaire nouvelle ». Il parlait là de la communauté du Contadour, où Giono et ses amis promouvaient, dans une atmosphère joyeusement libertaire, un « retour à la terre » non pas nostalgique, mais « larzacien » avant la lettre.
La guerre et l'occupation ont brisé ce rêve, et Vichy s'en est emparé à des fins de propagande national-conservatrice. D'où le malentendu d'un Giono réactionnaire et collaborateur, entretenu à plaisir par des stalinistes qui ne lui pardonnèrent pas d'avoir, dès la première heure, assimilé Staline à Hitler...
Giono l'« indépendant » eut pourtant le mérite de prendre très tôt la mesure du malheur qui s'abattait sur une humanité arrachée à son rapport ancestral à la terre. Il combattit sans cesse l'idéologie d'un monde où le travail est la négation d'une « joie de vivre » ; il préféra la pauvreté de l'homme libre aux illusions d'un progrès destructeur de tous les équilibres.